Créabulles, Expositions, Dédicaces, Rencontres.

Chroniques

Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture. 

  • URGENCE CLIMATIQUE

    Urgence climatiqueScénario : Ivar EKELAND
    Dessin : Étienne LÉCROART
    Couleurs : Étienne LÉCROART
    Dépot légal : Avril 2021
    Editeur : casterman
    Format comics
    ISBN : 978-2-203-22178-9
    Planches : 120

    L’album commence très fort par l’évocation du cauchemar de l’auteur Étienne Lécroart attisant un incendie dans lequel sa fille est littéralement immolée. Suit alors le récit qu’il en fait à son ami Ivar Ekeland, mathématicien et économiste. Profondément marqué par cette allégorie de sa perception du changement climatique sacrifiant les générations futures, Étienne s’interroge sur la conduite à adopter. Son ami Ivar dresse un état des lieux plutôt pessimiste. Il s’insurge devant la mort de milliards de grands vertébrés dont certaines espèces uniques ont finalement disparu. Il dénonce l’abattage de milliers de chameaux accusés d’assécher les points d’eau. Il est révolté par la vente des droits sur l’eau à des compagnies privées. Il s’indigne que les rapports du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) aient donné lieu à si peu de mesures de la part des gouvernements… Les exemples sont innombrables et finalement avec cette BD les auteurs s’interrogent sur les moyens de nous sortir de cet état d’angoisse et de sidération. Urgence climatique plancheMon avis : On est impressionné par l’ampleur et la gravité de la situation décrite qui est l’occasion d’évoquer les grandes préoccupations écologiques actuelles, réchauffement/dérèglement climatique, déforestation, pollution, excès et dérives de la monoculture, de la production industrielle mondiale. etc., le tout étayé par des chiffres, des statistiques des graphiques, des études d’experts.
    Un album très dense, trop diront certains.
    Une BD à vocation didactique regroupant la plupart des connaissances actuelles sur la question et s’efforçant d’en trouver les causes et les origines dans l’histoire du développement humain.
    Au vu de l’urgence climatique et environnementale, on nous dit qu’il est essentiel de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030. En serons-nous capables ? Sinon quoi ? Les illustrations sont d’une force incroyable, frappant là où il faut.
    Dessinateur de presse, illustrateur et auteur de bandes dessinées, Étienne Lécroart nous offre un travail d’une grande clarté narrative. Il réussit à englober en une seule illustration toute une problématique ainsi que son historique. Un exploit en soi.
    L’album alterne les cases de tous formats, BD classique, didactique, dialogue des deux protagonistes face-à-face, dessin de presse. On croit même reconnaître la nouvelle égérie pour le climat, Greta Thunberg, renommée Asha qui signifie espoir en bengali, comme le souhaite cet album au final.
    Un album engagé ayant le mérite de garder ouvert le choix de notre avenir, à condition toutefois que nos gouvernants aient la volonté politique d’agir et que la population mondiale prenne conscience de l’enjeu de survie.

    SDJuan

  • MARSUPILAMI 33

    Marsupilami 33Tome 33 : Supermarsu
    Scénario :, Stéphan COLMAN
    Dessin : BATEM
    Couleurs : CERISE
    Dépot légal : juin 2021
    Editeur :
    Dupuis 1
    Format : 297mm (H) / 225mm (L)
    ISBN : 979-10-34747-76-4
    Nombre de pages : 56

    Georges et Diane sont tous deux très occupés à faire une expérience de télépathie grâce au "psycho-transmetteur de fluides cérébraux intersectionnel non binaire….". Diane escompte bien que Georges va (enfin) lire ses pensées intimes, lui avouer son amour et surtout l'embrasser. Mais c’est vraiment pas de bol pour elle, car Georges se plante en beauté... Folle de rage, elle invente une histoire. Comme elle ne recevra plus l'argent de son université londonienne pour ses recherches, elle annonce à Hector qu’ils doivent tous les trois rentrer à Londres. Sauf que le jeune Hector ne l'entend pas de cette oreille. Équipé de ce qu’il considère le minimum vital, il décide de partir seul à l'aventure à travers la jungle, laissant sa tantine Diane et son Oncle Georges rejoindre l'Europe. Ni une ni deux, il entame son périple jalonné de dangers mortels et de surprises, ne se doutant même pas que le Marsu veille sur lui et lui sauve la vie la plupart du temps même s’il arrive parfois trop tard pour lui éviter, par exemple, cette chute de plusieurs mètres. Le marsu l'emmène de toute urgence chez M’sieur Touhtankilozé. Ce dernier pour fêter ses 476 ans s’engage à réaliser le rêve le plus cher d'Hector : devenir un vrai marsupilami avec une truffe, de grandes oreilles velues, de redoutables canines, une très longue queue souple et puissante, un pelage jaune tacheté de noir, etc. Mais attention, au moindre regret de sa condition humaine, le charme sera rompu...Marsupilami 33 page 3Mon avis : L'aventure avec un grand A est bien au rendez-vous de ce 33e tome de la série et l'auteur liégeois Batem confie en avoir beaucoup d’autres en réserve. L’album fait la part belle au personnage d’Hector. La concrétisation de son rêve va lui faire prendre conscience de ce qu’implique le fait de se glisser dans la peau d’un Marsu. "De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités" selon les mots prononcés par Ben Parker, l'oncle de Spider-Man.
    Son complice également liégeois Stéphan Colman nous plonge dans la peau d'un apprenti marsupilami incluant le mode d'emploi de toutes ses capacités et elles sont nombreuses.
    Truffée de gags qui la rendent plaisante à lire, l’aventure se poursuit donc dans la jungle palombienne, un monde de découvertes, plein de surprises et de menaces qu’Hector est loin de soupçonner et que seul le marsu connu de tous les amateurs de BD est capable d’éviter ou d’affronter. Marsupilami 33 page 4Batem, une nouvelle fois, met tout son savoir-faire au service d’une illustration de qualité tout au long de cette aventure rocambolesque, pleine d’entrain et souvent drôle dans cette jungle qui semble être une source d’inspiration inépuisable pour lui.
    Une mise en scène et des cadrages soignés, un dessin énergique et détaillé bien mis en valeur par le travail réalisé sur les couleurs par Cerise (aux côtés de Batem depuis 34 ans déjà et qui a largement contribué au succès de la série).
    Une équipe qui assure encore de belles années au personnage créé par Franquin.

    SDJuan

  • RHUM HÉRITAGE 2

    Rhum heritage 2Tome 2 : Les flammes de la révolte
    Scénario : Tristan ROULOT
    Dessin : Mateo GUERRERO
    Couleurs : Amparo CRESPO CARDENETE
    Dépot légal : Février 2021
    Editeur : Robinson
    Collection : RobinSon
    ISBN :  978-2-01-707644-5
    Planches : 63

    Martinique, au début du XVIIIe siècle sous le règne de Louis XIV. En 1713, un décret vient confirmer l’interdiction sur tout le royaume de fabriquer et de vendre des eaux-de-vie autres que celles issues de la vigne. Cette forme de prohibition n'arrange pas du tout les affaires de Jean Rouen qui n'a de cesse d'attendre que les choses aillent mieux pour pouvoir enfin subvenir aux besoins de sa famille. Avec l’aide de son frère, il a malgré tout réussi à faire commerce de son rhum, un peu vieilli et d’une couleur un rien brunâtre, avec les Anglais des îles voisines. Sa boisson plaît et cela lui permet de remettre son entreprise à flot. Même le gouverneur fait preuve d’une certaine tolérance en fermant les yeux sur une activité qui accroît la richesse de l’île, bénéficiant à tous, y compris aux esclaves. Il était temps car outre les difficultés économiques, la famille de Jean Rouen, en particulier sa femme de couleur et son fils, doivent subir un racisme sournois toujours bien présent. Et pour une fois cette bonne nouvelle s’accompagne d’une autre car son père qui est sorti de prison doit bientôt venir sur l'île. Malheureusement, il ne va pas arriver seul... En effet, Louis XV a succédé au Roi-Soleil en 1715. Âgé seulement de cinq ans, son pouvoir a été délégué (jusqu’en 1723) à son cousin le duc d’Orléans proclamé Régent du royaume. Progressivement, la situation s’aggrave dans tout le royaume. La guerre contre les Anglais a vidé les caisses qu’il faut renflouer au plus vite. Arrivant de métropole, le nouvel intendant Ricouart est là pour veiller à ce que les nouvelles directives interdisant toute production non seulement de rhum mais aussi de canne à sucre sur l’île soient respectées. Cette fois c’en est trop pour les habitants de l’île qui toutes castes confondues vont se révolter.Rhum heritage 2 planche

    Mon avis : Dans le premier tome, Tristan Roulot nous a fait partager la naissance du rhum à partir de la guildive, cette potion guérisseuse si désagréable au goût, à travers l’histoire familiale de son héros de fiction, Jean Rouen, sur fond d’esclavage.
    Dans cette suite, il s'agit davantage de survie puis de révolte à la suite des décisions venues de métropole.
    A travers l’histoire de cette famille, c’est celle de la Martinique que nous conte Tristan Roulot et, au-delà, celle du royaume de France et de la société d’Ancien régime. Une nouvelle fois, il nous propose un récit largement documenté permettant même d’imaginer quelle pouvait être la vie quotidienne sur l’île. Les décisions de Paris passent très mal, et vont finalement aboutir à une sorte de rébellion de la part des propriétaires de plantations sucrières, vite rejoints par bien d’autres colons, dont le point culminant sera l’événement plus connu sous le nom du Gaoulé du vieux créole signifiant "révolte".
    Les émeutiers se saisirent du gouverneur La Varenne et de l’intendant Ricouart et les mots "indépendance" et "république" furent même prononcés par certains, dit-on. Durant cette nuit de révolte des colons de la Martinique contre le monopole de la France sur les Antilles Françaises, l’île a bien failli devenir indépendante.Rhum heritage 2 n b
    Mateo Guerrero illustre le récit d’un dessin réaliste soigné et dynamique, lui aussi largement documenté comme l’attestent, entre autres, les costumes et coiffes de l’époque, ainsi que les très nombreux décors.
    Une véritable immersion dans l’histoire de la Martinique.
    Le beau travail sur le découpage et des personnages expressifs et aisément reconnaissables contribuent largement à la fluidité de la lecture. Mateo illustre parfaitement cette histoire se situant dans les îles même si on le sent peut-être plus à l’aise dans le dessin d’aventure et/ou d’action.
    Pour ce tome 2, ayant eu l’occasion d’en voir quelques planches originales N&B, juste une légère déception, mais sans gravité, concernant les couleurs qui écrasent sur quelques cases les détails du dessin de Mateo Guerrero. L'ensemble est de bonne qualité..

    SDJuan

  • ROXELANE, LA JOYEUSE t2

    Roxelane la joyeuse 2Volume 2
    Scénario : Virginie GRENIER
    Dessin : Olivier ROMAN
    Couleurs : Filippo RIZZU
    Dépot légal : mars 2021
    Editeur : Delcourt
    Collection : Histoire & Histoires
    Grand format
    ISBN : 978-2-413-01029-6
    Nombre de pages : 56

    XVIe siècle, l'Empire Ottoman a un nouveau prince, Mehmet ! Roxelane, l'ancienne esclave ukrainienne, a gravi bien des échelons avec cette joie de vivre qui lui a permis de se faire remarquer au sein du Harem puis de plaire au sultan Soliman le Magnifique à force de patience et d’efforts pour s'instruire Elle est même devenue sa favorite et vient donc de lui donner un fils, le premier de six enfants ! En lui offrant un prince, Roxelane aurait pu espérer bénéficier d’un avenir tout tracé mais cela ne plaît pas à tout le monde et son ascension a créé de vives dissensions et des jalousies extrêmes au sein même de l'entourage du Sultan. En effet, un autre héritier, de lignée indirecte, le prince Mustafa, fils de Gulbahar, l’ex-favorite du sultan, se retrouve écarté. Roxelane va devoir tout faire pour garder sa place car bien que favorite en titre, les rivalités ne vont cesser de s’exacerber. Elle ne va plus cesser de manœuvrer pour sa sécurité et celle de ses enfants mais aussi pour assurer son avenir… d’autant que la menace ne vient pas forcément de là où on l'attendrait le plus. Roxelane la joyeuse 2 plancheMon avis : Un second tome riche en événements, s’attardant sur l’évolution des différents personnages et leurs interactions réciproques tout au long du parcours de Roxelane qui doit faire preuve de clairvoyance pour savoir sur qui elle peut compter comme ami(e)s où appui ou de qui elle doit se méfier jusqu’à la trahison. Nous la voyons agir avec intelligence et une sagacité parfois froidement cruelle. 
    La scénariste, Virginie Grenier, nous met sous pression tout au long des rebondissements qui soutiennent le récit des aventures de cette "reine de sang" qui sait ce qu’elle va faire pour atteindre ses objectifs. Du moins, c’est ce dont elle est persuadée. Roxelane 2 planche
    Au dessin, Olivier Roman nous propose une mise en images documentée, en particulier dans les décors variés et fouillés ainsi que les atmosphères générales.
    Belle description d’un harem, des nombreuses femmes qui y vivent, des valets et eunuques à leur service. Intense immersion dans cet univers plutôt rude de sultan et sultanes aux côtés de la célèbre Roxelane.
    Les couleurs plutôt denses de Filippo Rizzu donnent de la vigueur à l’ensemble.

    SDJuan

  • SUITES ALGÉRIENNES

     Suites algeriennes 1962 2019 premiere partieSuites algériennes - 1962-2019 - Première partie
    Scénario : Jacques FERRANDEZ
    Dessin : Jacques FERRANDEZ
    Couleurs : Jacques FERRANDEZ
    Préface : Jean-Paul MARI
    Dépot légal : mai 2021
    Editeur : casterman
    Format : 18,4 x 26 cm
    ISBN : 978-2-203-20296-2
    Planches : 144

    Jacques Ferrandez revient sur l’histoire de l’Algérie postcoloniale, après son accession à l’indépendance en 1962. Ce n’est qu’en 1991 que le peuple algérien sera appelé à participer aux premières élections législatives démocratiques. Mais devant la montée de l’islamisme (incarné par le FIS - Front islamique de Salut), l’armée intervient et proclame l’annulation des élections. C’est la guerre civile qui va mener le pays à une décennie de violence avec d’un côté l’armée qui se targue d’avoir libéré le pays de la colonisation française, et de l’autre, pêle-mêle, les "islamistes" brandissant le Coran, les pieds-noirs, les pieds-rouges, des femmes défendant leur liberté… et la France.
    Paul-Yanis Alban, fils d’Octave et Samia que l’on a côtoyés dans les cinq albums des Carnets d’Orient consacrés à l’Algérie, désormais journaliste de la télévision française est envoyé sur place pour couvrir les événements.Suites algeriennes plancheMon avis : Qui mieux que Jacques Ferrandez pouvait nous raconter ces années de l’histoire de l’Algérie ? Lui qui après cinq Carnets d’Orient retraçant l’histoire de ce pays depuis sa conquête par la France en 1830 jusqu’à 1954, début de la guerre qui mènera à l’indépendance, suivis par cinq autres albums, aujourd’hui regroupés dans une nouvelle intégrale intitulée Carnets d’Algérie (anciens tomes 6 à 10 des Carnets d’Orient) qui retracent l’époque allant de 1954 à 1962.
    "Suites Algériennes" (deux tomes annoncés) traite de l’Algérie libre et indépendante sauf que la population, majoritairement jeune, estime que cette liberté retrouvée a été bafouée et qu’elle-même est une "laissée-pour-compte". L’album débute par le voyage que l’auteur effectue en Algérie en 2019 en pleine révolte de la jeunesse. C’est le Hirak (qui culminera lors de l’anniversaire de l’insurrection du FLN de 1954), cet ensemble de manifestations pacifiques à caractère politique visant à réformer le pays en profondeur. Les slogans des manifestations sont clairs: "Pas de vote avec la bande", "Système dégage". Tous et toutes défilent avec un seul mot d’ordre : "Rendez-nous notre indépendance", qu’ils/elles ont le sentiment d’avoir perdue après le coup d’État de Houari Boumedienne en 1965. C’est ce mouvement qui a donné l’idée à Jacques Ferrandez de nous raconter l’Algérie depuis 1962. Alors qu’il voulait passer à autre chose, il s’est senti comme obligé de continuer ses récits sur cette période de l’après colonialisme, au vu de tout ce qui s’y est passé et s’y passe toujours depuis plus de 50 ans.Suites algeriennes 1962 2019 premiere partie pll nous revient donc en mettant en scène quelques-uns de ses personnages, déjà vus lors des périodes précédentes dans ses autres albums, tels les nouveaux épisodes d’une série à succès. Et, surprise, il s’est illustré lui-même dans cet album où on le reconnaît aisément. Jacques Ferrandez revient sur ces périodes avec le savoir-faire qu’il a accumulé depuis plus de trente ans sur le sujet. Il nous propose ce récit captivant qui telle une galerie de portraits donne la parole à divers intervenants, chacun nous proposant sa vision des événements.
    On retrouve avec plaisir son dessin réaliste faisant la part belle aux tonalités pastel. Paysages, décors urbains, bâtiments donnent lieu à de superbes aquarelles. Les personnages sont expressifs et vivants. Le récit s’anime sous nos yeux, on participe aux manifestations, à la réflexion des uns, au débat des autres. On ressent souvent la tension.
    Un ouvrage donnant envie d’en savoir davantage sur l’histoire déchirée de l’Algérie. 

    SDJuan

  • COMMENT DEVIENT-ON RACISTE ?

    Comment devient on racisteScénario : Carole REYNAUD-PALIGOT, Évelyne HEYER
    Dessin : Ismaël MÉZIANE
    Couleurs : Ismaël MÉZIANE
    Dépot légal : mai 2021
    Editeur : casterman
    ISBN : 978-2-203-21190-2
    Nombre de pages : 72

    Comment devient-on raciste ? Vaste sujet qu’Ismaël Méziane qui a vécu le racisme dans sa vie quotidienne à de multiples reprises tente de traiter à son modeste niveau avec l'aide au scénario d'Évelyne Heyer, anthropologue généticienne, et Carole Reynaud-Paligot, historienne.

    En 2017 à Paris, il visite au Musée de l’Homme l’exposition "Nous et les autres - Des préjugés au racisme" dont elles sont les deux commissaires. Cette exposition agit comme une prise de conscience sur lui. Elle est organisée en trois parties :  La première invite le visiteur à comprendre comment s’élaborent identité et altérité et à prendre la mesure des processus de catégorisation, de hiérarchisation et d’essentialisation à l’œuvre dans la fabrique du racisme "ordinaire". La deuxième partie explore la construction scientifique de la notion de "race" et illustre, à partir d’exemples historiques, la mise en œuvre de racismes institutionnalisés par des États. Le visiteur remonte en quelque sorte le temps. Enfin, la dernière partie aborde le problème du racisme. Aujourd’hui, en s’appuyant sur les données des sciences. Du vivant, des sciences sociales et en donnant la parole à des spécialistes.Comment devient on raciste page 3On le voit, cette question est un immense défi. Avec cet album BD, il ne s’agit donc pas de procéder à une analyse approfondie de la question mais plutôt de réfléchir ensemble et de tenter de décrypter les mécanismes menant vers le racisme. Le récit retrace d’abord les étapes de la conception de la BD. Plusieurs personnes ont mis Ismaël Méziane en garde contre son projet, lui expliquant que cela n’intéresserait pas grand monde et qu'il perdrait son temps en voulant l’aborder sous forme de BD. Ismaël tient bon. C’est un sujet très important pour lui, il veut comprendre et a besoin d’éclaircissements sur ce phénomène. Mais, au fil de sa réflexion, il se confirme qu’il n’est pas facile d’expliquer cette mécanique de la haine.

    Une chose est sûre, on ne naît pas raciste mais on le devient. L’album évoque la peur de l'autre, les préjugés, évidemment, mais aussi la discrimination et le racisme institutionalisé, comme la ségrégation, etc...Comment devient on raciste pageIsmaël Méziane est le personnage principal qui s'interroge et se pose tout un tas de questions sur ce qui peut pousser les gens à devenir raciste. Il essaye de comprendre l'évolution par lui-même comme tout un chacun mais aussi auprès des deux spécialistes qui vont tenter de lui donner des réponses sur les raisons du racisme en l’expliquant à travers des schémas, des exemples de situations, etc. Les explications se veulent simples et claires. Parallèlement à ces échanges "autorisés", nous partageons des moments plus intimes de la vie d’Ismaël lorsqu’il évoque par exemple auprès d’un psychologue son ressenti d’être exclus, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, mais aussi son vécu personnel face aux attentats.

    Ismaël Méziane nous propose une illustration claire, aux couleurs légères, au service de la narration incluant même quelques schémas pour souligner le caractère documentaire et didactique de l’album.

    Une BD très intéressante qui mériterait sa place sur les bancs des écoles, en tout cas à mettre entre toutes les mains ne serait-ce que pour contribuer à faire prendre conscience individuellement et collectivement des ravages du racisme, en commençant par le racisme biologique pourtant discrédité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale mais toujours persistant (certains préjugés ont la vie dure) et les nouvelles formes d’expression de la haine, comme la digitalisation de l’expression raciste.

    SDJuan

  • SIGRID T1

    Sigrid 1Tome 1 : Sur cette terre inconnue
    Scénario : David CHAUVEL
    Dessin : Patrick PION
    Couleurs : Lou
    Couverture : Ronan TOULHOAT
    Dépot légal : mai 2021
    Editeur : Delcourt
    Collection : Conquistador
    Grand format
    ISBN : 978-2-7560-8286-8
    Nombre de pages : 64

    À l'aube du second millénaire, la jeune Sigrid va enfin pouvoir explorer le monde et même précéder son père qui doit la rejoindre plus tard. Elle embarque sur le drakkar de son oncle Harvard et quitte le Groenland à destination des territoires du Markland (province canadienne actuelle de Terre-Neuve-et-Labrador) que les Vikings viennent tout juste de coloniser. À bord, une certaine tension se fait jour parmi les membres de l’équipage au sujet de la récente conversion d’Harvard au christianisme, cette nouvelle religion affirmant l’existence d’un Dieu unique en trois personnes, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, en totale contradiction avec les si nombreux dieux que vénèrent encore la majorité des vikings. Mais le pire est à venir quand après quelques jours de navigation, l’un après l’autre les membres de l'équipage tombent malades, victimes d’atroces douleurs abdominales. Les valides sont de moins en moins nombreux pour manœuvrer le navire. Les victimes se multipliant, les cadavres sont jetés par-dessus bord dans l’espoir de ralentir la propagation de cette étrange maladie. Mais le mal est fait, c'est trop tard. Juste avant de rendre son dernier soupir, Harvard confie à Sigrid qu'il y a un trésor à bord. Elle doit absolument le cacher et le défendre à tout prix. Faute de marins pour contrôler les mouvements du drakkar, la tempête qui s’est levée l’entraîne vers la côte où il finit par s’échouer. C’est un indien de la tribu Béothuk qui va le découvrir ainsi que Sigrid, la seule survivante. Mais est-elle véritablement la seule à avoir survécu et que s’est-il réellement passé à bord ? Sigrid page 3Mon avis : Près d’un demi-millénaire avant la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, des vikings ont mis le pied sur Terre-Neuve, cette île située tout près des côtes de l’Amérique du Nord (actuel Labrador canadien).
    David Chauvel
    nous propose une histoire construite sur une trame historique solide. C’est l’occasion de découvrir les premiers contacts entre Vikings et Béothuks incarnés par cette rencontre fortuite entre Sigrid, la belle viking qui sort pour la première fois de ses terres natales, et cet indien nommé Gotheyet grâce à qui elle a sans aucun doute échappé à la mort. Et s’ils ne se comprennent pas et ignorent encore comment ils vont pouvoir communiquer, leur première réaction sera ce geste de paix, de fraternité et d’hospitalité au lieu de s’entretuer comme c’est la règle face à l’inconnu.
    On assiste au choc de deux cultures complètement différentes, par exemple lorsque l’indien Gotheyet découvre le fer, une matière inconnue, à travers des objets qu’il récupère dans l’épave du drakkar.
    Une belle fiction sur base d’un contact qui a réellement eu lieu au premier millénaire même si le passage des Vikings n’a laissé que de rares traces sur place et si l’on s’interroge toujours sur la disparition mystérieuse des Béothuks... bref de quoi attiser notre curiosité pour la suite.Sigrid page 7Patrick Pion au dessin donne le ton, énergique. Très belles ambiances générales, notamment sous la tempête, paysages et décors naturels imposants, montagnes, falaises abruptes. Une violence bien présente dans des scènes de combat réalistes et spectaculaires, des personnages expressifs, typés, fiers.
    Un trait nerveux qui ajoute de la tension à l’ensemble bien mis en valeur par les couleurs ajustées de Lou (Simon Canthelou).

    SDJuan

  • L'HOMME QUI TUA NOBUNAGA

    L homme qui tua nobunaga 1L homme qui tua nobunaga 2Tomes 1, 2 et 3
    Scénario : Kenzaburo AKECHI
    Dessin : Yutaka TÔDÔ
    Couleurs : N&B
    Traduction : Jacques LALLOZ
    Dépot légal : T1 : 11/2020; T2 : 02/2020; T3 : 05/2021
    Editeur :Delcourt
    Collection : Logo delcourttonkamSeinen
    Format Manga
    ISBN : T1 978-2-413-02812-3; T2 978-2-413-02813-0; T3 978-2-413-02814-7
    Nombre de pages : +/- 200 pour chaque tome
    L homme qui tua nobunaga 3Oda Nobunaga a dû se battre durant sa vie et c'est peu de le dire. Dans sa jeunesse, il a été considéré comme indiscipliné, se comportant de manière parfois excentrique et fréquentant des personnes de rang inférieur, au point d’être appelé "le grand imbécile d'Owari" (nom de sa province d’origine). Son père sera même poussé à se donner la mort selon le rituel du "seppuku" pour être respecté au sein même de son propre clan. C'est à la force de ses convictions et de ses nouvelles alliances qu'Oda va ensuite réussir à se faire respecter et acquérir une grande notoriété en tant que seigneur de guerre et fin stratège lors de la conquête d’une grande partie du Japon. Son désir était d’instaurer un empire unifié soumis aux guerriers. Pour mettre en œuvre ses idées d'unification du Japon, il va s’entourer d’hommes de confiance. Il va ainsi convaincre Akeshi Mitsuhide, aussi fin stratège que lui, de l’accompagner dans son action visant à unifier le royaume pour y instaurer la paix et Toyotomi Hideyoshi, lui aussi stratège de génie n’ayant pas son égal pour manipuler les gens. Oda Nobunaga saura s'entourer des daimyos (gouverneurs militaires) de son clan mais aussi faire alliance avec ceux de clans d'autres provinces, grâce à son pouvoir de persuasion ou, à défaut, en utilisant la stratégie, la manipulation ou, le cas échéant, la force. C'est la bataille d’Okehazama en 1560, alors qu’il n’a que 26 ans et est encore peu connu, qui va étendre sa réputation dans le pays tout entier. En effet avec une armée d’à peine 3000 hommes, Oda Nobunaga lance l’assaut contre les 30 à 40000 hommes d'Imagawa Yoshimoto, arrivant à l'atteindre et à le tuer. C’est là véritablement qu’il révèle ses talents de stratège, sa bravoure, son audace et son esprit d’initiative. Ce fait d’arme hors du commun va lui permettre de rassembler de plus en plus de clans autour de lui et de progresser dans son projet d’unification mais d'autres chefs de guerre encore plus puissants viendront contrecarrer son objectif ultime de créer un pouvoir centralisé. C'est là qu’il faut chercher les origines du drame qui va se dérouler à Honnôji connu comme "incident du Honnôji" survenu en juin 1582, nom d’un temple de Kyoto où Oda Nobunaga a été assassiné par Mitsuhide Akechi après s’être retourné contre lui, parfois présenté comme un suicide forcé. L homme qui tua nobunaga plancheEn 2016, l’un des lointains descendants de celui accusé de félonie a contesté cette version de l’attitude de son aïeul et cherché à rétablir la vérité. À noter, dans le premier tome, l’évocation de Yasuke, ce premier samuraï noir du Japon dont l’histoire est le thème de la série "Kurusan, le samouraï noir" de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone parue chez Delcourt (voir chronique ici).L homme qui tua nobunaga planche du tome 1
    Mon avis : Trois tomes déjà parus pour ce récit véritablement étonnant. 
    Le premier retrace l’histoire au complet, les tomes suivants développant chaque événement plus en détail.
    Il s’agit de l’adaptation en manga du livre intitulé "L’incident du Honnôji, la vérité dévoilée 431 ans après" dû à Kenzaburo Akechi.
    Un gros travail (dix années d’investigations et travaux de recherche historique) pour rétablir sinon la du moins une vérité visant à réhabiliter Mitsuhide Akechi.
    Un récit captivant de par son intérêt historique et documentaire, véritable immersion dans l’histoire du Japon, certes pas toujours facile à comprendre pour un public européen néophyte et compte tenu aussi du très grand nombre de personnages cités, mais bien expliquée et que l’on lit sans trop d’effort grâce à une narration maîtrisée. L homme qui tua nobunaga 2 plancheLes dessins de Yutaka Tôdô sont bons mais parfois inégaux, tantôt de véritables petites merveilles détaillées, soignées, notamment sur les scènes de combat et de guerre, les tenues des combattants, les costumes, les décors ainsi que les émotions, tantôt sans prévenir on tombe sur quelques cases trop caricaturales.
    Une très belle épopée à découvrir au fil de la parution des prochains tomes vu la richesse du sujet.

    SDJuan

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