Chroniques
Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture.
-
BRUXELLES 43
- Par asbl-creabulles
- Le 06/11/2020
Scénario : Patrick WEBER
Dessin : Baudouin DEVILLE
Couleurs : Bérengère MARCQUEBREUCQ
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur : Anspach
ISBN : 978-2-9602104-9-1
Nombre de pages : 641960, Kathleen est venue donner un coup de main à sa mère, ancienne employée du grand magasin Innovation, car elle s’apprête à déménager et doit emballer toutes ses affaires dans des cartons. Elle en profite pour mettre un peu d’ordre au grenier puisqu’elle-même y a laissé divers objets. Rapidement, elle tombe sur une enveloppe sur laquelle est écrit "Pour mon ami Fernand", le prénom de son père. À l’intérieur, elle découvre plusieurs planches de bande dessinée intitulées "Hitler et Herman, son berger allemand". Aussitôt, les souvenirs de l’époque la submergent d’émotion. Elle n’avait pourtant que 12 ans en 1943 mais l'occupation allemande l'a terriblement marquée. Elle se souvient de sa meilleure amie Yvonne, avec qui elle s’amusait alors que des drames se jouaient autour d’elles et de leurs familles, les rafles de Juifs, la surveillance et la menace permanente de dénonciation de la part des collabos, les restrictions alimentaires, les bombardements… Elle se souvient aussi de son père Fernand, amateur de BD, qui tenait un kiosque à journaux Place de Brouckère. Elle se rappelle aussi qu’il prenait de grands risques en entretenant des liens avec la résistance. Et justement, les planches réalisées par son ami dessinateur caricaturant Hitler et l’occupant allemand auraient dû être publiées clandestinement …
Mon avis: Bruxelles 43, après Sourire 58 et Léopoldville 60, est l’occasion pour le scénariste Patrick Weber de revenir sur une période importante de l’histoire belge – l’occupation allemande – alors que notre héroïne, Kathleen, n’est encore qu’une fillette de 12 ans. Si le contexte historique de cette période est connu par la plupart d’entre nous grâce aux livres et cours d’histoire, le récit, comme de coutume, est très documenté (il est d’ailleurs complété par un dossier minutieux et détaillé en fin d’album). Patrick Weber nous raconte cette aventure en tant qu’historien en nous apportant son lot de révélations sur des faits ou des événements souvent peu connus du grand public. Il évoque bien sûr les rafles de Juifs, le marché noir, la menace des collabos, une presse sous contrôle de l’occupant allemand, la résistance, mais son intrigue multiplie les rebondissements en lien avec d’autres faits comme ces actes de résistance de la part d’hommes et femmes ayant pris le risque de réaliser, imprimer, distribuer un "faux Soir" en novembre 1943 justement, ou ces écrivains, auteurs, dessinateurs "engagés" avec lesquels le père de Kathleen correspondait. Un récit maîtrisé, une narration fluide, une lecture captivante.
Côté dessin, Baudouin Deville a de nouveau beaucoup travaillé sur base d’une documentation riche et variée pour les rues, les vêtements, les voitures... mais aussi les publicités de l’époque ou les journaux. Ses pages sont très fournies en décors et détails pour mieux nous immerger dans l’époque. Sur certaines pages, il multiplie les cases au service d’un déroulement fluide du récit. On prend plaisir à y retrouver Jacobs et Hergé dans leurs propres rôles. On y découvre aussi Philippe Wurm que Baudouin Deville salue et remercie d’avoir inclus son personnage de Kathleen dans l’un de ses albums. Un trait précis, vivant, tout à fait dans le style "ligne claire", collant parfaitement au texte.
Et, toujours, une très belle mise en couleurs de Bérengère Marquebreucq donnant vie, volume et clarté au dessin de Deville
Un troisième album venant confirmer la qualité de cette "pseudo-série", qui devrait ravir les passionnés d’histoire, à mettre aussi entre les mains de tous ceux curieux d’en savoir davantage sur la résistance par le biais de la presse et de la ... BD !
SDJuan
-
LES TUNIQUES BLEUES 65
- Par asbl-creabulles
- Le 04/11/2020
Scénario : BeKa
Dessin : José Luis MUNUERA
Couleurs : SEDYAS
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
ISBN : 979-10-34747-93-1
Nombre de pages : 46Londres, 1861. William Howard Russel s’apprête à partir pour l’Amérique comme correspondant du Times pour couvrir la guerre de Sécession. En charge des grands événements, ce journaliste est tombé en disgrâce auprès de ses supérieurs suite à son article sur la grève des ouvriers du bâtiment dans lequel il compare la situation qui a dégénéré à l’usine Burdett à une "véritable bataille" mais aussi à cause de son soutien aux grévistes dont les droits auraient, d’après lui, été bafoués. Du coup, William Russell est envoyé très loin, en Amérique, auprès du général Alexandre de l’armée unioniste pour écrire une série d’articles destinés à faire vivre aux lecteurs l’expérience de cette guerre au plus près des soldats. Premier "correspondant de guerre", le journaliste sera escorté par le sergent Chesterfield et le caporal Blutch qui assureront sa sécurité durant son reportage.Mon avis: Avec ce 65e album [paru avant le 64e (Où est donc Arabesque ?) en préparation par Lambil et Cauvin (qui signera son dernier scénario pour la série des TB)], je retrouve avec plaisir l’énergie de la première vingtaine d’albums mettant en scène un Blutch voulant à tout prix déserter ou faire le mort pour éviter les charges intempestives du capitaine Stark, ou dénicher une cachette originale et supposée introuvable pour qu’ensuite Chesterfield puisse nous surprendre en la découvrant avec une grande facilité. Et quel plaisir aussi d’être témoin de la guéguerre permanente entre nos deux héros aux opinions si diamétralement opposées sur l’armée. Quant à William Russel (qui a réellement existé), les auteurs en ont fait le stéréotype du britannique plutôt distant et réservé, impassible, raide et stoïque dans toutes les situations (comme ici sur sa bourrique !) et finalement un personnage dont l’attitude fait souvent (sou)rire. Les Beka et Munuera nous proposent un récit rompant volontairement avec le travail de Cauvin et Lambil sans chercher à vouloir le copier ou l’imiter. Plusieurs histoires s'entrecroisent (l’arrivée du reporter, la découverte de l’orphelinat, la ségrégation omniprésente) témoignant chacune d’une époque de grands tourments. L'intégrité du travail de journaliste cherchant à être le plus objectif possible, chose difficile dans la réalité, est très bien rendue.Côté dessin, le renouveau évoqué dans notre précédent article (à lire ici) est bien là. José Luis Munuera dont on reconnaît le graphisme si typique s'est parfaitement approprié les personnages en respectant leur personnalité. De même pour les décors ainsi que pour Arabesque, parfaitement dressée (occasion rêvée pour Blutch de faire une très belle démonstration devant l’un des gamins de cet orphelinat qui le ramène dans son passé). Et n’oublions pas l’image improbable et drôle de ce journaliste si flegmatique sur sa mule mais qui utilise les technologies les plus avancées de l’époque comme le télégraphe pour envoyer ses textes. À retenir un encrage plus prononcé sur certains plans, un découpage et des cadrages plus dynamiques, voire audacieux sur quelques planches, un environnement graphique varié mais toujours respectueux des codes de Lambil et une très belle mise en couleurs de Sedyas elle aussi respectueuse du style de la série.
Parenthèse dans la série des Tuniques Bleues, cet album du trio BeKa-Munuera est réussi. Certainement est-il plus sérieux, plus adulte, plus réaliste en nous montrant les violences de la guerre par exemple, mais dans le même temps l’humour si caractéristique des TB y est bien présent. À noter par exemple ce clin d’œil aux auteurs historiques qui sont mis en scène dans l’album sous les traits de Raoul et Willy jeunes. Les BeKa et Munuera ont vraiment apporté une touche de renouveau qui combine, pour notre plaisir, tradition et modernité. Au final, ce petit coup de neuf m’incite à attendre avec impatience la parution prévue en 2021 du prochain album (n°64) du tandem historique Cauvin-Lambil.
A noter : une interview de BeKa et Munuera en début d'album et deux pages preview du nouvel album de Cauvin et Lambil en fin d'album.
SDJuan
-
NESTOR BURMA 13
- Par asbl-creabulles
- Le 03/11/2020
Tome 13 : Les rats de Montsouris
Scénario : Emmanuel MOYNOT
Dessin : François RAVARD
Couleurs : Philippe DE LA FUENTE
Edition :
ISBN : 978-2-203-19083-2
Dépot légal : Avril 2020
Nombre de pages : 62Paris, durant l’été 1955. Deux nouveaux clients sollicitent les services de Nestor Burma pour élucider des affaires qui n’ont, a priori, rien en commun. Le premier, Ferrand, est un ancien camarade de captivité durant la guerre, aujourd’hui devenu truand. Pour lui parler avec discrétion, il a demandé à Nestor Burma de le rejoindre dans un bar où l’on joue au billard. Il lui explique qu’il a besoin de son aide à propos d’une histoire de cambriolages en série. L'autre client, un riche bourgeois, ancien magistrat à la retraite, lui demande d’intervenir pour mettre fin au chantage dont il est victime. Burma va rapidement constater que les deux affaires outre le fait que les clients habitent tous deux dans le 14e arrondissement ont un autre point commun : un mystérieux gang de cambrioleurs qui écume les caves parisiennes appelé "Les Rats de Montsouris". De fil en aiguille, cette double enquête va vite devenir un sac de nœuds réservant bien des surprises et des secrets.
Avant, Tardi dessinait les enquêtes de Nestor Burma en adaptant les romans de Léo Mallet.Ce sont mes albums préférés de ce dessinateur.Après quatre albums, Emmanuel Moynot a pris le relais. Comme la touche Tardi était présente, j’ai essayé mais le dessin ne me plaisait vraiment pas.Cette fois Moynot est au scénario et au dessin, c'est François Ravard. En feuilletant l’album, je constate qu’il s’approche du maître surtout dans les personnages.À la lecture, c’est autre chose. Après un début confus car le scénario n’est pas maîtrisé, je commence à comprendre ce que veulent les personnages mais cette confusion reviendra. Certains intervenants ne sont pas assez développés et il devient difficile de comprendre pourquoi ils sont là et ce qu’ils ont fait. Des cases supplémentaires auraient été les bienvenues.
Le dessin des personnages me plaît et le rendu des habits est proche de Tardi. L’intérieur des immeubles montre bien l’état des lieux. Mais les rues parisiennes ne sont qu’ébauchées. Avec Tardi, je n‘avais qu’une envie, les parcourir. Je l’ai d’ailleurs fait sur le pont de Tolbiac. Je dois quand même signaler le beau final de plusieurs pages dans le réservoir. Les larges aplats de noir et l’éclairage jaunâtre du plus bel effet sur les visages et les vêtements apportent un bel effet de profondeur dans la perspective.
Avis M. Destrée -
VAN GOGH, fragments d'une vie en peintures
- Par asbl-creabulles
- Le 02/11/2020
Scénario : Danijel Žeželj
Dessin : Danijel Žeželj
Couleurs : N & B
Dépot légal : Août 2020
Editeur :
ISBN : 978-2-344-04390-5
Nombre de pages : 144Depuis Londres en 1873, Auvers-sur-Oise en 1890, en passant par Ramsgate, Zundert, Wasmes, Cuesmes, La Haye, Nuenen, Anvers, Paris, Arles et Saint-Rémy, Vincent Van Gogh a écrit quinze lettres à ses proches au cours des 17 dernières années de sa vie. Quinze lettres dans lesquelles le célèbre peintre et dessinateur se montre tour à tour plein d’entrain et de passion, animé par le désir de se rapprocher de la chrétienté et de Dieu, en proie aux interrogations, à la peur, au désespoir. Une correspondance alternant des moments de lumière où il se montre en quête de contacts avec ses proches et des moments de solitude, de repli et de renfermement sur soi. Tous ces moments sont commentés et expliqués à la fin de ce magnifique volume. Il ne s’agit pas vraiment d’une BD au sens propre du terme, ni d’un roman graphique, ni d’un artbook. Dans cet ouvrage, répertorié Hors Collection chez Glénat, le dessinateur croate Danijel Žeželj nous propose sa vision artistique des moments où Vincent Van Gogh a écrit ces lignes à travers des illustrations témoignant de sa créativité et de son imagination.
C’est à Zagreb où il est né en décembre 1966 que Danijel Žeželj a étudié la peinture classique et la sculpture à l’Académie des Beaux-Arts. Dès la fin des années 80, s’il est très actif dans les revues BD de son pays et de l’ex-Yougoslavie, il collabore aussi avec des revues étrangères. Il réalise déjà beaucoup d’illustrations. S’ensuit une période de séjours à l’étranger : Londres en 1991, l’Italie à partir de 1992 où il publiera une vingtaine d’albums de type roman graphique, les États-Unis à partir de 1995 où, installé à Seattle, il travaille pour DC Comics en particulier pour le label Vertigo tout en réalisant des illustrations et dessins pour les grands journaux américains. En 2001, à Zagreb, en Croatie, il fonde la maison d'édition et atelier graphique Petikat. Son travail a été publié et exposé dans de nombreux pays. En France, les éditions Mosquito ont publié plusieurs de ses titres, en noir et blanc, comme Invitation à la danse (1999), Congo Bill (2000), Rex (2001), La mort dans les yeux (2004), Le rythme du cœur (2005), King of Nekropolis (2009), Sexe et violence (2011), Babylone (2013).
Pour cet album, Danijel Žeželj nous régale de superbes planches muettes en noir et blanc restituant l’état d’esprit de van Gogh lors de l’écriture des lettres, moment de pause, de vie ou moment de torture, à coup de traits incisifs parfaitement maîtrisés et d’un travail sur les ombres et lumières, impressionnants d’efficacité. Les noirs sont intenses et les rendus puissants. Ce travail sur un peintre qui maîtrisait si bien l’art, les contrastes et surtout les couleurs, nous laisse bouche bée tant chaque page, chaque case est impressionnante. Un maître absolu du noir et blanc qui mérite d’être connu et apprécié à sa juste valeur. Un album tout à fait inattendu à ne rater sous aucun prétexte.
SDJuan
-
CROKE PARK, DIMANCHE SANGLANT À DUBLIN
- Par asbl-creabulles
- Le 30/10/2020
Scénario : Sylvain GÂCHE
Dessin : Richard GUÉRINEAU
Couleurs : Richard GUÉRINEAU
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Coup de Tête
ISBN : 978-2-413-02013-4
Nombre de pages : 128En 2007, le stade irlandais Croke Park s’apprête à accueillir le match de rugby opposant l’Angleterre à l’Irlande dans le cadre du Tournoi des Six Nations (Angleterre, Écosse, France, Pays de Galles, Irlande, Italie). Dans un pub voisin du stade, un Français vient s’assoir auprès de deux Irlandais ayant connu l’époque du Bloody Sunday, ce massacre perpétré dans le stade le 21 novembre 1920. Ce jour-là, les membres d’un groupe paramilitaire anglais ont fait feu dans le stade en représailles à l’attaque meurtrière menée par une unité de l’IRA appelée "Les Douze Apôtres" contre le "Cairo Gang" qui, lui, regroupait des agents britanniques infiltrés chargés d’éliminer les indépendantistes irlandais.
Mon avis: Ce match de 2007 en accueillant l’équipe d’Angleterre ravive de nombreux et sombres souvenirs, l’Irlande ne rêvant que d’une chose, prendre sa revanche sur le massacre survenu le 21 novembre 1920 lors du Bloody Sunday, mais il est aussi un beau symbole de réconciliation. Ce Bloody Sunday n’a rien à voir avec celui du 30 janvier 1972 survenu à Londonderry lorsqu’un officier de l’armée britannique autorise ses hommes à tirer sur les manifestants prétendument armés et hostiles, faisant 14 victimes et 14 blessés, et ayant inspiré le groupe U2 pour son titre emblématique "Sunday Bloody Sunday". En 1920, en plein match de football gaélique, les Auxilliaries – nom d’une unité paramilitaire anglaise – font irruption dans le stade, persuadés que les tueurs des membres du Cairo Gang se cachent parmi les spectateurs. Le mouvement de panique créé dans la foule et la confusion générale déclenchent leurs tirs qui vont faire 14 victimes (dont un joueur de football) et 62 blessés parmi les civils irlandais venus au stade. Sylvain Gâche nous raconte un épisode sombre de l’histoire irlandaise mêlant un événement sportif à un moment clé de l'histoire comme le veut la nouvelle collection "Coup de tête" des éditions Delcourt. Et c’est donc le stade de Croke Park qui est l’acteur principal du récit, celui du massacre de 1920 comme celui de la compétition de 2007 qui va voir l’équipe d’Irlande écraser les Anglais (43-13) après avoir elle-même été battue par la France (17-20). Au scénario, Sylvain Gâche nous fait revivre de manière captivante ces deux événements pourtant peu comparables mais lié à ce même lieu particulièrement symbolique. Un récit passionnant, clairement documenté, sur les événements tragiques de 1920 (presque un siècle aujourd'hui à un mois près), mais aussi sur le contexte global des relations entre l’Irlande et le Royaume-Uni, et le combat pour l’indépendance où l’on retrouve le nom de mouvements extrémistes et violents comme l’IRA ou de partis politiques comme le Sinn Féin.
Richard Guérineau au dessin maîtrise parfaitement le sujet, tant les faits historiques y compris les scènes les plus dures avec de multiples personnages tous aisément reconnaissables, que les passages dédiés au sport, football gaélique de 1920 ou rugby de 2007. Son trait est précis et fin et empreint de dynamisme. Il utilise habilement des techniques de dessin, d'encrage et de couleur différentes pour différencier les deux époques, rendant ainsi la narration fluide et compréhensible. Une belle énergie se dégage de l’album grâce à des cadrages efficaces et des couleurs parfaitement maîtrisées et toujours lumineuses même dans les scènes dramatiques.
L’album est enrichi d’un cahier documentaire explicatif, d’images d’archives et de dessins de R. Guérineau.
Album à ne pas rater !
SDJuan
-
JOJO intégrale 4
- Par asbl-creabulles
- Le 29/10/2020
Scénario : André GEERTS & Sergio SALMA
Dessin : André GEERTS
Couleurs : André GEERTS
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
ISBN : 979-10-34747-83-2
Nombre de pages : 312Je referme cette quatrième et dernière intégrale joliment orchestrée par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Après une introduction ornée d’inédits, due à la plume de Morgan Di Silva, actuel rédacteur en chef du magazine Spirou, place aux cinq derniers récits des aventures d’un sympathique bonhomme appelé Jojo.
Je ne vais pas les citer tous mais ils sont nombreux les joyeux garnements qui font le pitre dans les cases BD : Pim Pam Poum, les Peanuts, le Luron, Boule et Bill, le Petit Spirou, Titeuf... Mais mon préféré c’est Jojo!
André GEERTS est parvenu à créer un univers inimitable autour de ce petit bonhomme et de son ami Gros-Louis. Sergio Salma l’aidera quelquefois au scénario.
Même si l’on ne peut s’empêcher de penser au Petit Nicolas de l’immense René Goscinny, j’oserais dire qu’ici on est encore plus proche des enfants et c’est en grand connaisseur du monde enfantin que j’ose l’affirmer.
Si vous n’avez jamais ouvert un album d’André GEERTS, vous êtes impardonnables.
Jojo a du caractère, Gros-Louis aime les bonnes choses, Mamy est adorable, le papa est comique, le directeur de la petite école est la caricature parfaite d’un directeur mais il a un bon fond...et il y en a tant d’autres de ces personnages bien typés sans parler de tous les bambins...et la voisine mêle-tout qui médit sur tous : Mme Ganglion...
Et tout ce petit monde vit sur des pages aux charmantes aquarelles qui s’expriment par toutes les couleurs de la vie.
Le monde de Jojo est plein de poésie enfantine.
-La première aventure intitulée "La ballade des quatre saisons" suit les péripéties de Jojo au travers d’une année si joliment illustrée.
-"Une fiancée pour papa" met en scène Jojo qui entraîne Gros-Louis avec lui, à la recherche de l’âme sœur pour son père. Ils mettront tout en œuvre pour la trouver mais Jojo n’oublie pas son intérêt.
-"Jojo vétérinaire": il vient de passer quelques jours chez l’amie de son papa qui est vétérinaire et de retour en classe, il veut épater les copains. Violaine va le prendre au mot.
-"Confisqué!". Malgré l’interdiction, Jojo amènera un objet en classe qui sera confisqué.
Il entraînera encore une fois son meilleur ami dans une aventure incroyable pour le récupérer. Ce type de scénario a déjà été exploité au cinéma et en littérature mais ici l’enchaînement des situations est irrésistible et les dernières pages sont envahies de tendresse. Ce récit est un de mes préférés. Ayant été instituteur pendant 45 ans, j’en ai aussi confisqué des objets. Mais à côté du directeur de l’histoire, j’étais insignifiant. Je les rendais assez rapidement ou je les oubliais. Sans drame car les élèves les avaient aussi oubliés.-"Mamy Blues" est la dernière histoire de ce recueil. Mamy est malade et il est impossible de ne pas penser à André Geerts très malade lui aussi pendant la réalisation de ce récit qui voit notre petit héros gagner un concours et partir en croisière avec Mamy et Gros-Louis. Les rencontres seront nombreuses. Un bien sympathique capitaine pour Mamy et la mignonne petite Mado pour Jojo. Gros-Louis lui, apprend à avoir le pied marin ou plutôt l’oreille
(solution dans le récit). André consacrera ses dernières forces à terminer cette croisière. Alain Mauricet l’aidera pour les dernières cases.
Ce si sympathique dessinateur est parti trop tôt. Je me suis déjà exprimé ailleurs sur ce départ si bouleversant.
Il nous laisse 18 perles qui brilleront toujours.
Il suffit de prendre un album de Jojo, de déposer les yeux sur la première case et de se laisser emporter par l’histoire si gaie, si émouvante, si poétique, si tendre, si espiègle, si amusante au trait si personnel et aux si jolies couleurs.
Vous quitterez votre monde pour vivre dans celui d’André Geerts et de ses personnages.
Et vous pourrez recommencer, recommencer sans jamais vous lasser.
Et quel bonheur de l’offrir, ce monde à tous les enfants de votre vie!M.Destrée -
FRANK PÉ, Une vie en dessins
- Par asbl-creabulles
- Le 26/10/2020
Scénario : FRANK PÉ
Dessin : FRANK PÉ
Couleurs : FRANK PÉ
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur : Champaka Brussels
Collection : Une vie en dessins
ISBN : 978-2-390-41031-7
Nombre de pages : 320Les Éditions Champaka Brussels continuent leur belle collection avec cet opus sur un dessinateur qui s’illustre peut-être plus dans les représentations animalières que dans les cases BD.
Depuis les carnets de Broussaille dans le magazine Spirou où Frank PÉ parcourait les sentiers de campagne en observant la faune et la flore jusqu’à sa réappropriation récente et pertinente du Marsupilami, ce dessinateur-illustrateur n’a eu de cesse de magnifier la gent animale. Après une introduction de 18 pages qui retrace dans les grandes lignes son parcours biographique et professionnel, place aux nombreuses et magnifiques illustrations présentées en 10 chapitres.
1. Broussaille.
2. Saisons.
3. Zoo.
...
8. Spirou.
9. Marsupilami.
10. Fresques.
Vaste panorama de tout le parcours du dessinateur comme vous pouvez le constater.Si ce n’est pas toujours évident de ranger tous ces somptueux dessins couleurs aux formats différents sur des pages qui, elles, sont d’un format identique, de passer d’un format réduit à un agrandissement et d’y placer les légendes, il faut admettre que l’ensemble contentera et réjouira les admirateurs de l’œuvre de Frank PÉ.
René Hausman (un autre très grand artiste animalier) me confiait un jour que les livres d’animaux qu’il illustrait n’avait du succès qu’auprès des initiés car ses animaux étaient trop marqués par sa touche personnelle. Il ne se contentait pas de les représenter tels qu’ils sont réellement mais se devait de les dessiner comme ils les voyait. Frank, grand ami de René, ne pouvait faire autrement. Son dessin peut être déformé, j’en voudrais comme preuve la distance entre le nombril et les seins de Manon sur l’illustration de couverture... Ce n’est pas une erreur mais sa touche personnelle.
Et tous ces animaux représentés ici semblent plus être sortis du jardin d’Eden que d’un bestiaire animalier. Ou peut-être d’un livre fantastique pour certains.
On approche du sublime, de l’animal sauvage qu’on aimerait avoir pour ami...
Mais revenons sur terre...Seul regret : je veux bien admettre qu’il est intéressant de montrer des agrandissements de cases BD mais pourquoi ne pas les extraire de la planche, plutôt que de nous laisser voir tout le support avec des cases tronquées?
M. Destrée
-
LE MARSUPILAMI DE FRANK PÉ ET ZIDROU
- Par asbl-creabulles
- Le 26/10/2020
Scénario : ZIDROU
Dessin : FRANK PÉ
Couleurs : FRANK PÉ
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Dupuis Grand Public
ISBN : 979-10-34738-21-2
Nombre de pages : 153Bruxelles, 1955, une ville qui a encore du mal à se relever de la guerre. Le jeune Franz, que sa mère appelle François, a pris l’habitude de ramener à la maison tous les animaux, parfois malades, qu’il trouve dans la rue, passant outre aux réticences d’une mère qui peine à s’en sortir avec son maigre salaire. Fruit de ses amours et d’un Allemand, François est le souffre-douleur de certains de ses camarades de classe. Il est régulièrement victime de moqueries et de mauvais traitements mais, cette fois, il a été menacé d’être tondu comme un collabo. Se sentant humilié, pour la première fois il a riposté et s’est enfui de l’école. Mais au lieu de rentrer directement, il est parti se cacher sous un pont, un abri bienvenu alors que la pluie redouble. C’est là qu’il va entendre un bruit tel un soupir de douleur. En s’approchant il découvre une bête au bord de la mort. Il ne peut s’empêcher de la secourir et de rentrer discrètement avec l’animal. Sa mère qui est occupée à préparer des moules à la cassonade, le plat préféré de François, discute avec son professeur qui est passé prendre de ses nouvelles après sa fuite. François n’y prête pas trop attention car l’étrange bestiole s’est réveillée apeurée et affamée et, surtout, très agitée. Ils arrivent à la calmer et François comme à son habitude réussit à convaincre sa mère de la garder. La bête revient de loin. Capturée en Palombie avec toutes sortes d’autres animaux par des trafiquants sans scrupules, elle est finalement arrivée au port d’Anvers après moultes péripéties ayant retardé le bateau. Beaucoup d’animaux sont morts durant la traversée. À Anvers, notre "bête" réussit à s’enfuir du bateau et finalement arrivera épuisée à Bruxelles…
Mon avis: Frank Pé et Zidrou se sont appropriés le Marsupilami, créé par Franquin et repris par Batem, dans une version bien plus sombre et réaliste située dans l’après-guerre, à Anvers et Bruxelles. Si l’histoire est dure de par la nature du sujet traité – maltraitance et trafic d’animaux sauvages – elle ne manque pas de tendresse grâce au jeune François, à son dévouement, sa bienveillance alors que lui-même a une vie bien difficile à l’école, même si l’on n’est pas encore certain que le lien d’amitié qui se crée pourra contrebalancer la méchanceté et l’avidité d’autres hommes. Avec ce premier tome sous-titré "La Bête", fruit d’une longue recherche en amont, on retrouve un Frank Pé toujours très à l’aise pour dessiner les animaux. Ce marsupilami est le résultat d’un savant mélange de singes de différentes espèces, d’ours, de panthère et même de koala dont il s’est inspiré pour créer l’anatomie générale, la tête, la musculature et restituer la mobilité et la souplesse de son marsupilami qui, c’est certain, est bien plus fort et costaud que l’original.
Et comme toujours, aux côtés de cette "bête" pour le moment meurtrie, on retrouve beaucoup d’autres animaux mais pas seulement. Frank Pé agrémente le récit de personnages aux bouilles incroyables dont plusieurs ont les traits de personnalités bien connues comme Franquin souriant et s’efforçant d’être drôle quelle que soit la situation (le professeur si gentil et attentionné envers la maman de François dont il est un peu amoureux), Delporte, Jijé (le directeur d’école), Roba (le vétérinaire)… autant de dessinateurs de la grande époque de Marcinelle que Frank Pé a souhaité inclure dans le casting. Son dessin fait bien ressentir les émotions et sentiments qui animent chacun, la cruauté des trafiquants, la haine, le dégoût qu’ils inspirent, la peur mais aussi la joie, les rires, l’envie de vivre de bien d’autres. On est pris d’empathie pour ce marsu, François et sa petite famille, son cercle d’amis. Comme toujours Frank Pé nous régale de superbes illustrations, mélange de scènes intenses, pleines d’émotion ou d’énergie et de passages plus sereins ou drôles allant même jusqu’au gag, bénéficiant d’une grande variété de cadrages.
Après l’intégrale "Little Nemo" (parue en mai 2020), "Frank Pé, une vie en dessins" un volumineux artbook de 320 pages (paru en octobre 2020), ce nouvel album de 140 pages, dont la suite encore plus volumineuse (200 pages annoncées) est déjà en préparation, est une superbe réussite à lire sans modération.
À noter: Cet album a été prépublié en épisodes sous forme de 8 supplément gratuits inclus dans le journal Spirou (du n°4293 du 22 juillet 2020 au n°4300 du 9 septembre 2020) et a fait l’objet d’une édition spéciale à tirage limité (1200 exemplaires) pour la librairie Slumberland/BD World, avec une couverture différente et un titre gaufré + 8 pages de texte et croquis intitulées "Le vrai marsupilami" en fin de volume.
SDJuan