Créabulles, Expositions, Dédicaces, Rencontres.

INTERVIEW GIJÉ

Banner boite a musique

À l'occasion de la sortie de "La Boîte à Musique" chez Dupuis (voir notre chronique ici), Créabulles a eu le privilège de rencontrer lors de son récent passage à Bruxelles son auteur, Gijé, dont nous avons recueilli l'interview ci-dessous, en présence de Laurence Van Tricht, l'éditrice de ce magnifique album, et Loredana, stagiaire à la presse. Lire la suite ici

Michel : Une chose m’a frappé dans l’interview de Spirou, c’est lorsque vous déclarez "je ne voulais pas faire de bande dessinée". Quelle est la situation aujourd’hui ?

Photo gijeGijé : C’est drôle parce qu’ils ont vraiment insisté là-dessus alors que je ne pense pas l’avoir souligné. Je pensais seulement au travail qu’il faut fournir pour faire une BD par rapport au travail que je faisais auparavant. Mais cela a bien changé maintenant car le fait de travailler sur son propre projet est motivant. Dans le domaine de l’animation, il y avait cet aspect perdu dans une sorte de chaîne où plusieurs personnes travaillent sur le même projet. J’étais content de ce que je faisais dans l’animation quand on m’a fait cette proposition. En tout cas, ce n’était pas prévu, ce n’était pas dans mes projets.

Michel : Quel a été le temps de conception de la BD car, si j’ai bien compris, tout est parti d’un dessin posté sur InkTober.

Gijé : Cela remonte à deux ans. On a commencé le dossier en 2016. J’ai mis beaucoup de temps, environ 7 à 8 mois, pour le préparer car je travaillais en studio d’animation et je me disais que je ferai des recherches sur les personnages, les couleurs, l’enchaînement des planches quand j’aurai du temps libre. Heureusement, on avait beaucoup d’éléments parce que Benedicte est une personne très rapide et très efficace. Le dossier a été remis en août 2016 et dès qu’on a eu la réponse positive de Dupuis on a commencé à travailler de manière sérieuse, puis tout a été très vite. J’ai continué mon travail au studio d’animation à mi-temps pendant quatre mois tout en commençant à travailler sur la BD et pendant les cinq mois suivants je me suis entièrement consacré à la BD.

Juan : Et vous continuez l’animation ?

Gijé : Oui, mais plus calmement et j’y consacre moins de temps.

Michel : Vous venez de publier une vidéo intitulée "Let’s make it happen" sur facebook.

Gijé : En fait, c’est dû à la différence entre la BD et l’animation. En BD, quand on a terminé, trois mois plus tard on a l’album en main. C’est très différent pour un film d’animation. Pour ce court-métrage par exemple, j’ai fini mon travail il y a peut-être un an ou deux, mais il ne sort que maintenant et on a l’impression que je fais plusieurs choses en même temps. En fait c’est parce que ce travail n’est visible qu’aujourd’hui.

Boite a musique 1Michel : Avec la BD vous avez un éclairage, une mise en avant que vous n’aviez pas auparavant.

Gijé : J’avoue que je suis effectivement un peu perdu.

Michel : Surtout maintenant car depuis Angoulême vous faites aussi du mi-temps pour la promotion de l’album.

Gijé : C’est vrai, c’est fatigant (rires).

Michel : Comment se passe la rencontre, le contact avec le public ?

Gijé : C’est super. Quand on travaille sur une BD on est tout seul, on est un peu isolé chez soi, ou dans un café. C’est très personnel. A partir du moment où on sort l’album, la grosse différence est qu’on se retrouve surexposé dans des salons où on rencontre et où on discute avec plein de gens, mais ça se passe super bien ! De plus, débuter à Angoulême pour quelqu’un qui n’a jamais fait de dédicaces, jamais rencontré le public par rapport à mon travail, c’est un baptême exceptionnel. C’est vraiment génial en fait. Et de savoir que les retours sont bons, cela m’a donné de l’énergie.

Laurence : C’est la meilleure vente à Angoulême, tout s’est vraiment très bien passé pour un premier album.

Juan : Les critiques sont très bonnes un peu partout, rien de négatif.

Gijé :  On partage beaucoup. On met en lien les articles sur l’album, les critiques, les commentaires de personnes ayant lu la BD, on en a les larmes aux yeux !

Juan : L’album a été imprimé à combien d’exemplaires ?

Boite a musique par gije et carboneLaurence :  20000 exemplaires et on en réimprime déjà 10000.

Juan : Félicitations. Un beau bébé.

Gijé : Je vais avoir beaucoup de dates de dédicaces. Je crois que cela ne va pas m’empêcher d’avoir toujours le sourire et la forme.

Michel : C’est bientôt la Foire du Livre à Bruxelles (du 22 au 25 février 2018).

Gijé : Oui c’est dans peu de temps.

Juan : Et cet après-midi aussi, une séance de dédicaces à la Librairie Flagey (le 15/02/2018).

Michel : Et comment se passe la collaboration avec Bénédicte ? Comment travaillez-vous ?

Gijé : Au début, on avait pas mal d’échanges pour la création, pour se coordonner, en fait pour avoir une idée de ce qu’on avait envie de faire, savoir si on avait la même vision. Je me rappelle qu’au début j’envoyais chaque page, chaque petit croquis à Bénédicte, chaque recherche de personnage, en lui demandant si elle l’avait imaginé ainsi. De temps en temps, elle me donnait ses indications pour les personnages. En fonction de leur nom par exemple, un personnage qui va s’appeler Octopus, je voyais tout de suite plein de tentacules. Je savais à peu près ce que j’allais faire et pouvais coordonner mon travail avec le sien. Au fur et à mesure que je savais à peu près ce qu’elle voulait, au lieu d’envoyer peut-être une recherche par jour, à la fin j’envoyais dix pages achevées par mois. Tout s’est donc bien passé, sauf une fois où j’ai oublié une petite écharpe que j’ai dû rajouter sur toutes mes planches. On finit par arriver à un niveau où on voit à peu près ce que chacun recherche et on se complète très bien.

Michel : En ce qui concerne les personnages fantastiques, est-ce plutôt votre apport … ou celui de Bénédicte ?

Boite a musique magieGijé : C’est un choix visuel de ma part. Comme ce qui me plaisait pour l’album collait bien avec ce que Bénédicte souhaitait, on le soumettait ensuite à Dupuis. C’est parfait car je ne me sentais pas arrêté dans mon élan de créativité et finalement j’ai pu faire quelque chose qui me plaît. C’est un avantage.

Michel : Cette question s’adresse peut-être davantage à la représentante de Dupuis : quelle est la cible d’âge des lecteurs ?

Laurence : On cible les jeunes de 8 à 12 ans. Ce sont les mêmes lecteurs qui lisent Cerise, même si on peut envisager un public plus large. Si je prends l’exemple de ma fille de 7 ans, c’est la première fois qu’elle a lu une BD en entier et du coup elle a enchaîné avec d’autres BD alors qu’auparavant elle ne voulait pas. Je pense qu’il y a des jeunes de 14 ans qui vont adorer aussi et même des adultes car c’est tellement poétique.

Michel : Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le dessin et les thèmes sérieux qui sont abordés dès la première page comme le décès de la maman. C’est bien pour une bande dessinée.

Laurence : C’est comme les dessins animés de Pixar. Il y a des sujets profonds qui sont abordés avec poésie et il y a deux niveaux de lecture.

Juan : J’ai une question concernant le travail des couleurs sur l’album. Dans l’animation, sauf erreur vous travaillez en 2D. S’agit-il de couleurs simples, légères ou y-a-t-il un travail de recherche sur des couleurs plus prononcées, plus élaborées comme dans la BD ?

Gijé : Je suis passé par différents emplois dans l’animation. Quand j’ai déclaré que "je ne voulais pas faire de BD", cela tenait juste au fait que je ne pensais pas être capable d’en faire mais, finalement avec le recul, je me rends compte que tous mes boulots dans l’animation m’ont permis de regrouper toutes les compétences pour créer une BD. Par exemple en animation, je travaillais sur le story-board, ce qui me permettait de mieux percevoir le découpage et la mise en scène, et la compétence d’animateur me permet de mieux analyser les mouvements des personnages et en illustration, j’ai appris à utiliser divers techniques traditionnelles ce qui m’a permis de travailler autant les couleurs pour cette BD. Je pense qu’on devrait supprimer la phrase "je ne voulais pas faire de BD" (rires).

Boite a musiques etapesMichel : J’ai vu que vous avez étudié à St-Luc. Quelles études exactement ? Quelle branche ?

Gijé : C’était dans l’option Illustration. Il y avait également une option BD, mais je ne l’ai pas choisie. L’option illustration permettait aussi bien de créer des planches de BD que de travailler sur les couleurs, la peinture car elle regroupait plusieurs domaines. De plus, j’avais beaucoup d’amis qui avaient choisi cette branche et quand on est jeune cela peut aider de suivre un peu ses amis.

Michel : On peut donc en conclure que vous avez toujours dessiné ?

Gijé : Je ne sais pas à quel âge j’ai commencé, mais comme tous les enfants j’ai dessiné et si certains arrêtent, pas moi. Je dessinais beaucoup avec ma sœur. Elle faisait toujours les yeux de mes personnages car elle les dessinait très bien. Pendant un moment, elle dessinait mieux que moi mais elle a arrêté tandis que moi j’ai continué.

Michel : Il n’y a pas de copyright sur les yeux dessinés par votre sœur ? (rires)

Nola de faceGijé : Non, c’est moi qui fait tout.

Michel : Passons à l’étape suivante ? Vous êtes déjà sur votre deuxième album ?

Gijé : Oui, je l’ai déjà commencé et j’ai beaucoup de plaisir, beaucoup plus de plaisir à le faire.

Michel : Tous les personnages sont déjà créés.

Gijé : Oui, mais il y a beaucoup plus de personnages… trop (rires), mais je n’ai plus le stress que j’avais pour le tome 1. J’ai une meilleure idée du travail que je dois fournir. Cela me permet d’en profiter pour m’éclater un peu plus que sur le premier tome.

Michel : Avez-vous une image de Pandorient dans la tête, le plan, les rues, etc. ?

Gijé : Je découvre le monde de Pandorient en même temps qu’à travers les yeux de Nola, et j’essaye de ne pas voir trop loin, de me surprendre. Bénédicte me donne pas mal d’indications sur ce qu’elle souhaite avoir dans ses cases, ce qui me permet d’avoir une vision plus directe. J’entame alors un petit croquis et je pense aux couleurs que je peux utiliser. Travailler sur l’instant me réussit, je peux mieux visualiser ce que je vais faire. C’est un monde assez vaste et dans le tome deux on va découvrir pas mal de nouveaux endroits. Cela demande pas mal d’imagination et de création.

Juan : Qui a décidé de donner autant d’importance aux couleurs, de les rendre plus proches de la peinture alors que vous auriez très bien pu adopter des couleurs plus légères, moins travaillées ?

 Nola fole de joie Nola

Gijé : Eh bien, ça fait plaisir à entendre. C’est lié à l’illustration, car pour moi il faut qu’une case soit belle. On m’a appris à raconter une histoire avec une seule image. Le dessin qui a accroché Bénédicte donnait déjà quelques indications, comme le fait que la mère de Nola ne soit plus là et que Nola se retrouve seule avec son père le jour de son anniversaire. Donc cette seule image racontait pas mal de choses. Ensuite, Bénédicte s’est lâchée avec la boîte à musique et tout ce qui l’entoure (rires).

Michel : C’est donc là que vous vous rejoignez ?

Gijé : Oui, effectivement mais il y a un truc qui me gêne dans certaines BD, la couverture est superbe mais quand on ouvre l’album, le reste n’a plus rien à voir.

Juan : C’est un peu comme dans le comics où souvent les couvertures n’ont rien à voir avec l’intérieur ?

Gijé : Oui, c’est cela. Quand j’étais petit, j’étais attiré par des couvertures mais dès que j’ouvrais le livre j’étais déçu. Je refermais le livre en me disant que ce n’était pas cela que je voulais. Je n’ai pas envie que les gens aient ce genre de réaction.

Michel : Ici, le résultat est bon, on n’a pas du tout cette impression car tout est pareil, couverture et intérieur.

Gijé : Et si en plus on croit que c’est de la peinture, c’est encore plus agréable car ce n’est que du numérique.

Juan : On peut même voir des "défauts", entre guillemets, comme des traces laissées par les pinceaux, etc.

Gijé : Oui, c’est bien ça, comme des éclaboussures, des traces de doigts. On m’a souvent reproché de ne pas être précis dans mon travail, dans mes illustrations, de peindre avec les doigts, etc. Même mes cases ne sont pas droites. Il y a des coins cassés ou de travers, les bulles aussi. C’est un peu le bazar mais ça me permet d’être plus à l’aise, même pour les couleurs.

Boite a musique illuJuan : À propos de vos influences, on ressent bien le manga pour les expressions, mais en avez-vous d’autres, notamment pour les mouvements qui sont très différents du style manga ?

Gijé : J’aurais du mal à dire quelles sont mes références. C’est plutôt dans l’observation du quotidien. Cela vient aussi de l’animation, comprendre, assimiler ce que l’on voit. C’est pareil pour les belles choses, je vais essayer de les comprendre, de concevoir les couleurs, la lumière, les poses que je vais utiliser, vraiment les décomposer en fait. Je pense à de grands artistes comme Dice Tsutsumi par exemple qui travaille énormément avec la couleur, la lumière, les ambiances avec seulement quelques traits de lumière. Il fait partie de mes références.

Juan : Un peu d’Hayao Miyazaki aussi ?

Gijé : Ouiii, évidemment. Tous les grands noms qui font rêver. Tout ça fait partie de l’enfance. Comme ces enfants qui font de très grandes choses, Dragon Ball et bien d’autres.

Michel : J’aurais encore une question sur InkTober. Vous faites ça chaque année ? C’est stimulant ?

Gijé : Oui, ça booste, mais le problème à présent c’est que j’ai du travail à faire et si je suis en retard par exemple, lorsque je publie sur mon mur, mon éditrice peut le voir et … (rires). De plus, sur InkTober, c’est un dessin par jour pendant un mois …

Laurence : Par exemple, il devait boucler le tome 1 pour début novembre (2017) et il était vachement en retard, mais tous les jours je voyais un dessin magnifique qui empiétait sur le temps consacré aux planches.

Gijé : Disons que même si j’avais commencé à faire l’album, le InkTober de cette année me permettait de faire des recherches pour les prochains personnages, et du coup j’essayais d’allier l’utile à l’agréable. En fait, le challenge InkTober me permet chaque année d’atteindre quelque chose, du seul fait de produire autant et d’être visible avec le même hashtag. Mais comme je n’ai pas l’habitude de travailler aussi intensément en une si courte période, cela m’a énormément permis d’évoluer. J’aimerais bien le faire chaque année mais … (Rires). Il ne faut pas trop le dire.

Nola 1Juan : On censure (rires)

Laurence : En même temps, il est dans les temps, donc…

Gijé :  Je travaille mieux sous pression.

Laurence : Ça, c’est un bon argument.

Michel :  Attention, c’est un argument à double tranchant.

Gijé : Au final je suis sur les genoux mais j’y arrive et j’aime ça.  J’espère ne pas avoir dit trop de bêtises. (rires)

la Boîte à Musique

Boite a musiqueTome 1 "Bienvenue à Pandorient"
Scénario: Carbone (Carboneill Bénédicte)
Dessin: Gijé (Gillet Jérôme)
Couleurs: Gijé
Dépôt légal: Janvier 2018 – Sortie 26/1/2018
Parution en cours dans Spirou (numéro 4158 / 2017 …
Editeur:
Dupuis 1Collection: "Tous Publics"
Planches: 54

Date de dernière mise à jour : 21/02/2018

  • 5 votes. Moyenne 5 sur 5.