Chroniques
Quelques-unes des BD qui nous ont le plus marqués.
N’y voyez aucun a priori, aucune prise de tête, aucune volonté de gonfler nos egos mais tout simplement l’envie de vous faire partager nos impressions de lecture.
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LE MARSUPILAMI DE FRANK PÉ ET ZIDROU
- Par asbl-creabulles
- Le 26/10/2020
Scénario : ZIDROU
Dessin : FRANK PÉ
Couleurs : FRANK PÉ
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Dupuis Grand Public
ISBN : 979-10-34738-21-2
Nombre de pages : 153Bruxelles, 1955, une ville qui a encore du mal à se relever de la guerre. Le jeune Franz, que sa mère appelle François, a pris l’habitude de ramener à la maison tous les animaux, parfois malades, qu’il trouve dans la rue, passant outre aux réticences d’une mère qui peine à s’en sortir avec son maigre salaire. Fruit de ses amours et d’un Allemand, François est le souffre-douleur de certains de ses camarades de classe. Il est régulièrement victime de moqueries et de mauvais traitements mais, cette fois, il a été menacé d’être tondu comme un collabo. Se sentant humilié, pour la première fois il a riposté et s’est enfui de l’école. Mais au lieu de rentrer directement, il est parti se cacher sous un pont, un abri bienvenu alors que la pluie redouble. C’est là qu’il va entendre un bruit tel un soupir de douleur. En s’approchant il découvre une bête au bord de la mort. Il ne peut s’empêcher de la secourir et de rentrer discrètement avec l’animal. Sa mère qui est occupée à préparer des moules à la cassonade, le plat préféré de François, discute avec son professeur qui est passé prendre de ses nouvelles après sa fuite. François n’y prête pas trop attention car l’étrange bestiole s’est réveillée apeurée et affamée et, surtout, très agitée. Ils arrivent à la calmer et François comme à son habitude réussit à convaincre sa mère de la garder. La bête revient de loin. Capturée en Palombie avec toutes sortes d’autres animaux par des trafiquants sans scrupules, elle est finalement arrivée au port d’Anvers après moultes péripéties ayant retardé le bateau. Beaucoup d’animaux sont morts durant la traversée. À Anvers, notre "bête" réussit à s’enfuir du bateau et finalement arrivera épuisée à Bruxelles…
Mon avis: Frank Pé et Zidrou se sont appropriés le Marsupilami, créé par Franquin et repris par Batem, dans une version bien plus sombre et réaliste située dans l’après-guerre, à Anvers et Bruxelles. Si l’histoire est dure de par la nature du sujet traité – maltraitance et trafic d’animaux sauvages – elle ne manque pas de tendresse grâce au jeune François, à son dévouement, sa bienveillance alors que lui-même a une vie bien difficile à l’école, même si l’on n’est pas encore certain que le lien d’amitié qui se crée pourra contrebalancer la méchanceté et l’avidité d’autres hommes. Avec ce premier tome sous-titré "La Bête", fruit d’une longue recherche en amont, on retrouve un Frank Pé toujours très à l’aise pour dessiner les animaux. Ce marsupilami est le résultat d’un savant mélange de singes de différentes espèces, d’ours, de panthère et même de koala dont il s’est inspiré pour créer l’anatomie générale, la tête, la musculature et restituer la mobilité et la souplesse de son marsupilami qui, c’est certain, est bien plus fort et costaud que l’original.
Et comme toujours, aux côtés de cette "bête" pour le moment meurtrie, on retrouve beaucoup d’autres animaux mais pas seulement. Frank Pé agrémente le récit de personnages aux bouilles incroyables dont plusieurs ont les traits de personnalités bien connues comme Franquin souriant et s’efforçant d’être drôle quelle que soit la situation (le professeur si gentil et attentionné envers la maman de François dont il est un peu amoureux), Delporte, Jijé (le directeur d’école), Roba (le vétérinaire)… autant de dessinateurs de la grande époque de Marcinelle que Frank Pé a souhaité inclure dans le casting. Son dessin fait bien ressentir les émotions et sentiments qui animent chacun, la cruauté des trafiquants, la haine, le dégoût qu’ils inspirent, la peur mais aussi la joie, les rires, l’envie de vivre de bien d’autres. On est pris d’empathie pour ce marsu, François et sa petite famille, son cercle d’amis. Comme toujours Frank Pé nous régale de superbes illustrations, mélange de scènes intenses, pleines d’émotion ou d’énergie et de passages plus sereins ou drôles allant même jusqu’au gag, bénéficiant d’une grande variété de cadrages.
Après l’intégrale "Little Nemo" (parue en mai 2020), "Frank Pé, une vie en dessins" un volumineux artbook de 320 pages (paru en octobre 2020), ce nouvel album de 140 pages, dont la suite encore plus volumineuse (200 pages annoncées) est déjà en préparation, est une superbe réussite à lire sans modération.
À noter: Cet album a été prépublié en épisodes sous forme de 8 supplément gratuits inclus dans le journal Spirou (du n°4293 du 22 juillet 2020 au n°4300 du 9 septembre 2020) et a fait l’objet d’une édition spéciale à tirage limité (1200 exemplaires) pour la librairie Slumberland/BD World, avec une couverture différente et un titre gaufré + 8 pages de texte et croquis intitulées "Le vrai marsupilami" en fin de volume.
SDJuan
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LA VÉNUS NOIRE - Cahiers Baudelaire 2
- Par asbl-creabulles
- Le 22/10/2020
Scénario : YSLAIRE
Dessin : YSLAIRE
Couleurs : YSLAIRE
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
Collection : Aire Libre
ISBN : 979-10-34753-28-4
Nombre de pages : 44Le deuxième "Cahiers Baudelaire" illustré par Yslaire est paru et je constate que je n’avais pas chroniqué le premier, sans doute parce ce que ce n’était qu’un cahier.
Bernard Hislaire et moi, nous connaissons depuis longtemps et pourtant nous ne communiquons plus. C’est dommage !
Conquis par "Bidouille et Violette", envoûté par "Sambre", chaque publication de cet auteur me comblait. Hélas, attiré par le numérique, il s’envolait vers un XXe siècle (ciel) où je peinais à le suivre et duquel finalement, tel Icare, je chutais. Et pourtant toutes nos rencontres, nos conversations sont dans ma mémoire.
Et voilà qu’il s’approprie Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire et je retrouve l’auteur que j’ai tant admiré (je l’avais déjà retrouvé quand il a repris le dessin de Sambre) mais ici c’est d’un niveau supérieur (mais si vous n’aimez pas la poésie de Baudelaire évidemment...).
Yslaire nous présente la vie, la poésie sulfureuse du poète, son amante, ses compagnons... au travers d’un récit composé de cases esquissées par de multiples traits de crayons qui s’entremêlent pour former des corps enlacés ou des visages très expressifs. Les rues parisiennes déjà si parfaites dans Sambre nous entraînent toujours dans le temps.
Il utilise aussi des compositions alambiquées de toute beauté où il met sur feuille différentes méthodes de travail. Il extrapole le langage des cases pour s’approcher d’une œuvre au symbolisme très prononcé. Dans des tons monochromes où la couleur souligne un animal fantastique, un regard, une fleur... La sexualité très présente dans Les Fleurs du Mal ainsi que la morbidité sont magnifiquement représentées par l’artiste de façon imagée et symbolique.
Yslaire touche au sublime avec sa dernière œuvre. Et ces "cahiers" ne sont que des fac-similés de tout son travail de préparation mais je crains qu’ils ne dépassent le livre qu’ils sont censés nous présenter au travers de ces esquisses impressionnantes de beauté inachevée.
Deux volumes grand format (28 et 44 pages) à couverture cartonnée sous jaquette illustrée ayant chacun fait l’objet d’un tirage limité et numéroté à 2500 exemplaires, parus en mai et octobre 2020 dans la collection Aire Libre chez Dupuis. Également référencés sous le titre "La Vénus noire".
Destree M.
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LE TUEUR AFFAIRES D'ÉTAT 2
- Par asbl-creabulles
- Le 19/10/2020
Tome 2 : Circuit court
Scénario : MATZ
Dessin : Luc JACAMON
Couleurs : Luc JACAMON
Edition :
Dépot légal : 14 Octobre 2020
Nombre de pages : 56On se souvient qu’après s’être fait coincer en Patagonie, notre célèbre tueur à gage a accepté, pour sauver sa peau, de travailler pour la DGSE, autrement dit les services secrets français. Il agit donc à présent sous couverture comme cadre dans une entreprise où il attend sagement qu'on lui donne des directives. Cette fois, il a été chargé, avec ses collègues mercenaires, d’abattre les membres d'une bande afin de faire croire à un règlement de compte entre quartiers... sauf que l’un des inspecteurs envoyés sur place pour enquêter va vite avoir des soupçons sur une action qu’il juge trop bien exécutée. Mais, les choses étant ce qu’elles sont, la version officielle va permettre par "facilité" de classer l’affaire. L’inspecteur sait qu’il ne peut aller contre cette décision même si, en réalité, il ne s’agit pas du tout d’un affrontement entre bandes mais bien de magouilles et de corruption jusqu'en haut lieu.Mon avis: On ne change pas une équipe qui gagne. Après un premier tome bien accueilli, on retrouve Matz et Jacamon pour ce deuxième album de leur nouvelle série qui se situe bien loin des combines et pratiques illicites internationales en tous genres. C’est une immersion dans notre propre univers, nos villes, nos banlieues, nos cités, nos quartiers avec leurs difficultés de toutes sortes, l’insécurité, la violence, les rivalités entre bandes. C’est l’occasion de dénoncer la corruption de certains acteurs locaux prêts à inventer des problèmes puis d’en tirer profit et/ou d’en faire un argument électoral, bref de dénoncer ce qu’on appelle la récupération et l’instrumentalisation politiques. Tandis que l'intrigue se resserre et que les enjeux sont progressivement dévoilés, le tueur et son équipe en agissant au service de la DGSE sont au centre de la situation et comme à leur habitude nous font part de leurs impressions, moyen habile pour Matz de dresser un bilan en demi-teinte de la société française et d’élargir notre réflexion sur des thèmes essentiels de notre quotidien.
Coté dessin, on apprécie le "coup de patte" de Jacamon … reconnaissable entre tous. Et même si on le connaît, il ne cesse de nous surprendre. Une belle alternance entre les moments de répit et d’introspection auxquels le tueur nous a habitués et des scènes d’action plutôt mouvementées particulièrement bien rendues. Une multitude de personnages tous identifiables grâce à un trait clair, mais aussi de décors urbains bien mis en valeur et une grande variété de cadrages pour une lecture naturelle et fluide. Et toujours cette mise en couleurs directes caractéristique de son style, agréable et aéré, et n’écrasant pas le trait surtout dans les scènes plus sombres ou de nuit.
Un deuxième tome qui vient confirmer le retour réussi du tueur.SDJuan -
SIRÈNES ET VIKINGS 1
- Par asbl-creabulles
- Le 16/10/2020
Tome 1 : Le fléau des abysses
Scénario : Françoise RUSCAK
Dessin : Philippe BRIONES
Couleurs : Philippe BRIONES
Autres : GIHEF & Marco DOMINICI
Dépot légal : Septembre 2020
Editeur : Les Humanoïdes Associés
ISBN : 978-2-7316-7619-8
Nombre de pages : 52Chez les Vikings, capturer accidentellement une sirène dans ses filets n’est pas de bon augure. Aussi lorsque nos deux pêcheurs norrois en découvrent une dans leur filet, ils font tout pour la remettre à l’eau. Sauf que la situation va rapidement déraper. Se croyant menacée, la jeune sirène Oumna se défend violemment et blesse l’un des deux marins pêcheurs. Depuis les flots, sa sœur Arnhild pensant sa sœur en danger décide d’intervenir pour la défendre et surgit armée hors de l’eau. Et c’est là que l’inéluctable se produit. Oumna est accidentellement tuée. Aussitôt, par vengeance, Arnhild s’acharne à détruire le bâteau, menant les deux pêcheurs à la noyade. Plus tard, elle se confie à sa mère et lui suggère d’organiser une riposte contre les Norrois. Celle-ci l’en dissuade estimant qu’il vaut mieux laisser le temps faire son office puisque les humains s'autodétruisent à petit feu. Pour Arnhild, cela ne suffit pas à venger la mort d’Oumna. Défiant sa mère, elle part réveiller le Jörmungandr, un gigantesque serpent de mer également connu sous le nom de Midgardsorn ou serpent de Midgard, afin qu’il attaque les Norrois qui auraient le malheur de s'aventurer en mer. Et son action va se révéler désastreuse contre les navires vikings ne laissant qu’un seul survivant chargé de répandre la nouvelle. Les Trolls sont désormais l’unique espoir des Norrois, car eux seuls sont capables d’apporter une réponse. Le jarl (chef) du village demande à sa compagne Borglinde, une troll qu’il a recueillie et sauvée, de les contacter… Sauf qu’en raison de ses origines mi-troll mi-humaine justement, elle hésite à se rendre en terre des Trolls car ils l’ont toujours moquée et même molestée.
Mon avis: Voici une nouvelle série conçue et dirigée par Gihef sous forme de quatre one shots racontant chacun une histoire axée sur les mythes et légendes de ces hommes du Nord à la fois explorateurs, pêcheurs, commerçants et aussi pirates, connus sous le nom de Vikings, associés pour les besoins de la cause aux non moins mythiques et fabuleuses sirènes. Sur une idée originale d’Isabelle Bauthian, Françoise Ruscak nous propose un scénario inédit qui débute par un affrontement violent prenant vite de l’ampleur. Mais derrière se profilent des histoires de cœur qui pourraient arrondir les angles sans que l’on sache vraiment si les choses vont pouvoir se calmer entre humains et sirènes surtout lorsque l’une de ces histoires implique une demi-troll. Le récit en effet ne se limite pas seulement à un affrontement mais s’attache aussi aux émotions de ses protagonistes. Un agréable récit de fantasy mêlant réalité et merveilleux, où la virilité se manifeste clairement mais aussi l'amour, un amour un peu trop passionnel pourrait-on dire.
Coté dessin, on sent bien que Philippe Briones est très à l’aise, lui qui a travaillé sur de superbes épisodes d'Aquaman et Mera pour le marché américain chez DC. Les sirènes et autres créatures aquatiques n'ont plus aucun secret pour lui. Si les scènes d'actions terrestres comme aquatiques sont tout à fait percutantes, c’est l’album tout entier qui est parfaitement maîtrisé. Des personnages bien reconnaissables et un découpage et une mise en page variés et des "prises de vue" dynamiques servent parfaitement la lecture et la compréhension du récit. Et conformément au dicton "On n’est jamais si bien servi que par soi-même", Phil Briones s'est chargé de la mise en couleurs qui respecte un dessin déjà clair et précis tout en lui donnant volume et profondeur.
À noter aussi la très belle couverture due au talentueux dessinateur-coloriste barcelonais Josep Homs (Red Sonja, Orbital, Millénium, Shi, plus divers comics pour le marché US). Une série à découvrir selon une parution bimestrielle (tome 2 prévu dès le mois de novembre 2020), chaque tome étant réalisé par un duo d'auteurs différents.
SDJuan
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EFFET MIROIR
- Par asbl-creabulles
- Le 15/10/2020
Scénario : MAKYO
Dessin : LAVAL NG
Couleurs : LAVAL NG
Dépot légal : Avril 2020
Editeur :
Collection : Machination
ISBN : 978-2-413-01709-7
Nombre de pages : 86Nuit après nuit, Louis Ferrant fait le même cauchemar. Il se bat contre des ombres dans ce qui ressemble à une prison glauque et sombre. Il aimerait bien en parler à Camille, son ex, mais elle ne répond jamais à ses appels. Puis comme tous les jours, il rejoindra son bureau en voiture. Louis travaille aux établissements Ferrant, un nom transmis de génération en génération depuis 1889. Au retour, en fin de journée, comme il en a l’habitude, Louis ira courir seul en forêt. Mais aujourd'hui Louis va devoir courir pour sa survie, pour échapper à un motard tout de noir vêtu qui vient et revient sans cesse vers lui. Au début, Louis fait front, croyant à une présence importune, mais il est clair que le motard l’a pris en chasse. Très vite, il se rend compte que c'est bien après lui qu'il en a et que sa vie est en jeu. Et aucun de ses appels à Camille, aux pompiers, à la gendarmerie ne semble pris au sérieux. Si seulement il pouvait voir qui se dissimule derrière la visière du casque...
Mon avis: Certes la ligne narrative est réduite au minimum mais elle soutient une intrigue captivante et accrocheuse dès la première page. Makyo réussit même à maintenir le suspense jusqu'au bout de la course-poursuite dans laquelle il entraîne ses lecteurs. Il distille habilement des infos sur Louis, le personnage principal, faisant le lien entre ses cauchemars et ce mystérieux motard. Une construction originale dans de beaux décors naturels que l’on doit au talent de l’auteur mauricien Laval NG, de son vrai nom Laval Ng Man Kwong, qui a notamment travaillé sur Balade au bout du Monde, Les Chroniques de Sillage, Paul et Virginie, Alter, etc.
Un dessin plutôt nerveux et énergique lorsqu’il s’agit du duel terrifiant en pleine forêt laisse la place à des passages plus calmes. La tension est encore accentuée par les nombreux changements de cadrages et plans (rapproché, serré, large…) et le mélange réussi entre les tons froids et sombres et le rouge vif très largement utilisé. Une aventure impressionnante très bien menée qui vaut le détour.
SDJuan
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COMÈS, D'OMBRE ET DE SILENCE
- Par asbl-creabulles
- Le 14/10/2020
Textes : Thierry BELLEFROID & COMÈS
Dessin : COMÈS
Couleurs : COMÈS
Dépot légal : Septembre 2020
Editeur :
ISBN : 978-2-203-18379-7
Nombre de pages : 144C’est à l’un des plus grands spécialistes de bande dessinée en Belgique, Thierry Bellefroy, actuellement co-commissaire avec Éric Dubois de l’exposition "Comès d’Ombre et de Silence" qu’ils ont conçue à la demande de la Fondation Roi Baudouin qui gère le patrimoine artistique de l’auteur (exposition visible au musée BELvue à Bruxelles jusqu’au 3 janvier 2021), que nous devons cette superbe monographie de Didier COMÈS qui rend hommage à l’un des auteurs majeurs de la bande dessinée belge, maître en particulier du noir et blanc et du fantastique.
Dieter Herman Comès, plus connu sous le nom de Comès, est né le 11 février 1942 à Sourbrodt, un petit village près de Liège alors annexé au IIIe Reich. Son père germanophone sera même enrôlé dans l'armée allemande. Dieter qui vit avec sa mère francophone francise son prénom en Didier après la Libération. Né gaucher, l’école le force à écrire de la main droite mais il continue et continuera à dessiner de la main gauche. Son diplôme de dessinateur industriel en poche, Comès ne sait pas encore s'il veut se lancer dans la BD ou la musique en particulier le jazz, sa passion. Il fera les deux en parallèle. Bien qu’ami avec Hugo Pratt, c'est sa rencontre avec René Hausman qui va indirectement l’orienter sur la voie de la BD. À partir de 1969, il commence sa carrière de dessinateur pour le journal Le Soir, puis travaille dans divers magazines et revues dédiés à la jeunesse. Mais c'est avec sa première BD de science-fiction racontant les aventures d’Ergün l’Errant pour le magazine Pilote en 1973 [dont la suite sera publiée dans la revue (À Suivre) en 1980] qu'il s’épanouit vraiment. S’il apprécie particulièrement ce genre, cela ne l'empêchera pas plus tard d'aborder d’autres thèmes comme la nature, la ruralité, le social ou même la sorcellerie qui animeront ses œuvres majeures en particulier Silence publié à partir de 1979 dans la revue (À Suivre), L’Ombre du Corbeau (1981), La Belette (1983), Eva (1985), L’Arbre-cœur (1988) … Didier Comès nous a quittés en mars 2013 à l’âge de 70 ans.
À travers les nombreuses illustrations de l’album, on découvre sa maîtrise du trait, un trait fort, incisif et précis, souligné par un encrage puissant laissant une large place aux ombres mais aussi aux silences (parfois prolongés sur plusieurs pages dépourvues de textes dans ses albums comme pour accentuer l’atmosphère pesante des situations). On notera aussi sa grande maîtrise de la couleur même si son talent se révèle surtout grâce au noir et blanc. Si pour créer ce qui deviendra son univers, Comès a puisé ses influences dans les romans américains comme ceux d'Edgar Rice Burroughs ou dans les comics d'horreur sans oublier le style graphique d’auteurs français comme Philippe Druillet ou Jean-Claude Mézières, il trouvera vite ses marques.
Cet ouvrage, également catalogue de l’exposition du musée BELvue, enrichi des témoignages de personnes ayant connu l’auteur, notamment Hughes Hausman, le fils du dessinateur René Hausman, Benoît Peeters, François Schuiten ou Christophe Chabouté, nous entraîne à la découverte de l’univers foisonnant et passionnant de Didier Comès. On comprend mieux son parcours, ses doutes, ses envies, ses rencontres et finalement ses choix et ses passions. Une lecture accessible, richement documentée et illustrée.
Un très beau livre de 144 pages pour découvrir l’un des auteurs majeurs de la bande dessinée belge.
SDJuan
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DON VEGA
- Par asbl-creabulles
- Le 10/10/2020
One shot
Scénario : Pierre ALARY
Dessin : Pierre ALARY
Couleurs : Pierre ALARY
Dépot légal : Octobre 2020
Editeur :
ISBN : 978-2-505-08497-6
Nombre de pages : 96Haute-Californie, 1848. Après avoir perdu le Texas en 1845 (futur 38e État des États-Unis), le Mexique doit faire face à une rébellion de la Haute-Californie qui n’hésite pas à faire sécession et s’autoproclamer république libre (elle sera officiellement intégrée aux États-Unis en 1850). Durant la brève période de la République de Californie indépendante, l’ancien général Gomez qui s’est illustré durant la guerre contre le Mexique a trouvé un moyen habile de s'enrichir grâce aux filons d’or nouvellement découverts mais aussi sur le dos du peuple mexicain. S’appuyant sur un certain Borrow et ses hommes de main qui n’hésitent pas à recourir à des méthodes impitoyables, Gomez contraint tous ceux encore en possession de terres à les céder à des prix de misère. Ensuite, il les revend au prix fort à des Français ayant fui la Révolution de 1848 persuadés de réaliser un bon investissement dans la région et ignorant que Gomez et bien d’autres membres de la caste des puissants et riches californiens escomptent faire voter une loi (dès que la Californie aura rejoint l’Union) qui, tel un droit de préemption, leur permettrait en tant que natifs du pays de récupérer et devenir propriétaires des terres vendues à des étrangers. Mais succombant à l’appât du gain, Gomez commet l’erreur de s’emparer par la force des biens de la famille Vega. En formation à l’académie militaire de Madrid, Don Vega, leur fils, est informé par le père Delgado de la situation dans la région et de la mort de ses parents. Il décide de rentrer au plus vite. Entre temps, sur place, les habitants se défendent comme ils peuvent redonnant vie au mythe d’El Zorro. On voit apparaître de multiples "zorros" la tête couverte d’une cagoule noire, en réalité de simples paysans téméraires. Ils luttent courageusement contre les abus et vols commis par Borrow et ses hommes en essayant de défendre leurs maigres biens la plupart du temps au prix de leur vie. Avec l’arrivée prochaine de Don Vega, les choses vont prendre une nouvelle tournure.
Mon avis: Avec cet album, sous-titré "Zorro, la naissance d’une Légende", Pierre Alary nous propose en auteur complet un récit d’aventure avec un grand A surfant sur le mythe d’El Zorro dans une version tout à fait personnelle revue et corrigée par ses soins. Un récit captivant de bout en bout avec une entrée en matière accrocheuse et un suspense entretenu jusqu’à la dernière des 90 pages que compte ce gros album. Pierre Alary réinterprète de façon nouvelle et rafraîchissante le mythe de Zorro et c’est tant mieux. Loin d’être un remake de l’histoire du héros dont on a quasiment tous et toutes entendu parler, l’action se situe avant celle du personnage créé par Johnston McCulley pour le magazine All-Story Weekly, héros d’un récit en épisodes intitulé le Fléau de Capistrano, puis d’un roman publié en 1924, pour lequel McCulley s’est notamment inspiré du personnage semi-légendaire de Joaquin Murietta qui, dit-on, luttait lui aussi contre les abus et vols dont étaient victimes les chercheurs d’or à l’époque de la ruée vers la Californie. Les nombreux rebondissements imaginés par Pierre Alary nous entraînent dans une fiction passionnante inspirée d’une histoire vraie même si au fil des pages le récit nous mène à la rencontre du futur et célébrissime Zorro. Un Zorro dont le cinéma s’est emparé sous les traits notamment de Douglas Fairbanks dans le film Le Masque de Zorro (sorti en 1920) puis les studios Disney pour une adaptation télévisée à partir de 1958 mettant au premier plan l’acteur Guy Williams qui incarne Don Diego de la Vega, alias Zorro, un justicier lui-même successeur du célèbre Robin des Bois, le héros légendaire du moyen-âge anglais, et source d’inspiration pour Bob Kane, le créateur du personnage de Bat-Man (devenu Batman) en 1939. N'oublions pas les deux films réalisés par Martin Campbell, Le Masque de Zorro (1998) puis La Légende de Zorro (2005), avec Anthony Hopkins et Antonio Banderas dans le rôle de Zorro.
Le style de dessin semi-réaliste bien reconnaissable de Pierre Alary – des traits nerveux, nets et incisifs – colle parfaitement de par son dynamisme au récit qu’il a écrit pour nous raconter les origines de Zorro. Beaucoup de travail pour un rendu réussi des scènes à huis clos, à la mine ou d’affrontement à l’épée. Et une multitude de personnages expressifs voire charismatiques. On se laisse transporter et captiver par une mise en page et des cadrages dynamiques et pleins de vie. On n'ose imaginer le temps passé à travailler à la main la trame mécanique de chaque planche. Mais le résultat est là avec cet album à la couverture montrant un Zorro au galop sur son cheval. À noter aussi le très beau travail sur la mise en couleurs, les dégradés et les ombrages dans un style vintage qui colle bien à l'histoire. Un one shot qui s’achève sur une fin ouverte. Qui sait....
À noter: l’album comporte une préface présentant le contexte historique du récit et a fait l’objet en exclusivité pour la librairie Multi BD de Bruxelles d’une édition avec jaquette numérotée sur 99 exemplaires et signée par l’auteur.
SDJuan
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LA CAGE AUX CONS
- Par asbl-creabulles
- Le 09/10/2020
Scénario : Matthieu ANGOTTI
Dessin : Robin RECHT
Couleurs : Robin RECHT
D'après Franz BARTELT
Editeur :
Collection : Machination
Dépot légal : Octobre 2020
ISBN : 978-2-413-01857-5
Nombre de pages : 152Voici l’histoire – qui pourrait arriver à tout un chacun – d’un type genre petit voyou qui se retrouve mis dehors parce qu’il n’a plus un rond. Sa copine Karine dont il est fou amoureux lui a bien fait bien comprendre qu’il ne pourrait revenir que les poches pleines. Au bar du coin où il tente de passer son amertume, il ne peut s’empêcher d’entendre un homme saoul comme un cochon et faisant le fanfaron se vanter de n’avoir peur de rien et de faire tout ce qui lui plaît grâce à son pognon. Un vrai con qui tombe à pic pour notre héros qui voit là une chance et un moyen de retrouver Karine, sa chérie. Après l’avoir suivi jusque chez lui et attendu qu’il se soit endormi une fois les lumières éteintes, il en profite pour visiter son logement. Un vrai jackpot pour notre voleur amateur qui découvre un tiroir bourré de liasses de billets de banque. Sauf qu’il ignore encore qu’il s’agit d’un piège qui va se refermer sur lui... Et il va vite se rendre compte qu’il n'est pas la première proie de celui qu’il prenait pour un "con".
Mon avis : Un album étonnant et inattendu, scénarisé par Robin Recht et Matthieu Angotti qui ont adapté le roman Le Jardin du Bossu de Franz Bartelt (publié en 2004 dans la collection Série Noire de Gallimard). On est happé par l’histoire dès les premières pages et on se laisse piéger dès l’apparition de ce soi-disant "con" déniché au bistrot du coin. Ensuite, de rebondissement en rebondissement, le récit se transforme en thriller au suspense savamment entretenu. C’est à la fois inquiétant, étrange voire morbide et drôle. La victime prise au piège, on se demande quelle va être la réaction du "cougar" et on devient spectateur d'une sorte d'admiration mutuelle qui s'installe, on reste dans l'expectative des événements qui vont se succéder de manière surprenante et cocasse. Et que dire de la fin ? Quelle claque !
Au dessin, quand on connaît et qu’on apprécie le travail nerveux et puissant de Robin Recht sur "Totendom", "Le Troisième Testament - Julius" ou tout dernièrement "Conan le Cimmérien -T4", on se demande si l’on parle bien du même Robin Recht. En fait, il faut remonter trois ans en arrière pour retrouver l’autre facette de sa personnalité sur l’album "Désintégration" également scénarisé par Matthieu Angotti, mais cette fois il s’agit d’un dessin N&B aux multiples nuances de gris qui se révèlent des plus efficaces. Une ambiance sombre et inquiétante souvent déjouée par des actions surprenantes ou la bouille débonnaire d’un héros courageux, intrépide ou simplement inconscient de la réalité du danger (à vous de le découvrir en lisant l'album). En tout cas, on accroche à cette tranche de vie d’un "cougar" attendant le meilleur instant pour bondir et s'enfuir...
Un récit tout à fait singulier et surprenant de bout en bout servi par un beau travail d’adaptation et un dessin qui présente parfaitement l'intrigue.
SDJuan